Contexte : une question centrale en droit des baux commerciaux
En matière de bail commercial, l’expiration du contrat soulève une question récurrente : que doit payer le locataire qui reste dans les lieux, alors même que le bail est terminé ?
La réponse ne réside pas dans le paiement d’un loyer, mais dans le versement d’une indemnité d’occupation, prévue par l’article L. 145-28 du Code de commerce.
Cette indemnité d’occupation joue un rôle central :
-
Elle constitue la contrepartie de la jouissance des locaux après l’expiration du bail commercial.
-
Elle se distingue du loyer, qui n’est plus dû après la fin du bail.
-
Elle s’articule avec le droit au renouvellement et, le cas échéant, l’indemnité d’éviction due au preneur.
En pratique, la fixation et le calcul de l’indemnité d’occupation soulèvent de nombreux contentieux. La jurisprudence a précisé :
-
le point de départ de l’indemnité (date d’expiration du bail),
-
sa durée (jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction),
-
son mode de calcul (sur la base de la valeur locative, parfois avec abattement en raison de la précarité de la situation),
-
ainsi que les règles de prescription applicables.
L’analyse de ce régime est donc essentielle pour tout praticien, qu’il soit avocat en bail commercial, bailleur ou locataire.
1. L’indemnité d’occupation en droit commun
En droit commun, une indemnité d’occupation n’est due qu’en raison de la faute commise par l’occupant qui se maintient indûment ou abusivement dans les lieux. Elle constitue alors la réparation du préjudice subi par le propriétaire (Cass. 3e civ., 20 déc. 1971, n° 70-13.811, Bull. civ. III, n° 641).
Son montant est donc totalement indépendant du loyer précédemment payé et même de la valeur locative des locaux.
2. L’indemnité d’occupation en matière de baux commerciaux
2.1. Principe légal
L’article L. 145-28 du code de commerce consacre le droit au maintien dans les lieux du locataire dans l’attente du paiement de l’indemnité d’éviction.
La contrepartie de la jouissance du locataire n’est pas un loyer, puisque le bail est expiré, mais une indemnité d’occupation.
Une erreur de terminologie du bailleur, qui continue de réclamer des « loyers » et d’émettre des quittances, ne traduit pas la volonté de conclure un bail verbal (Cass. 3e civ., 6 juill. 2017, n° 16-17.817).
2.2. Nature juridique
Le locataire bénéficiant d’un titre légal justifiant son occupation, l’indemnité d’occupation n’est pas la sanction d’une faute et ne répare pas un préjudice (Cass. 3e civ., 3 juill. 1974, n° 73-11.054, Bull. civ. III, n° 284).
L’article L. 145-28, al. 1, prévoit que cette indemnité est fixée selon les règles relatives au loyer, « compte tenu de tous éléments d’appréciation ».
3. Point de départ et durée de l’indemnité
L’indemnité est due à compter de la date d’expiration du bail (Cass. 3e civ., 20 mai 1980, n° 78-16.116 ; Cass. 3e civ., 7 nov. 1984, n° 83-13.550 ; Cass. 3e civ., 18 janv. 2011, n° 09-68.298).
Elle est due :
-
pendant toute l’instance relative au congé et/ou à l’indemnité d’éviction,
-
et jusqu’au paiement effectif de l’indemnité d’éviction.
Si la décision refuse toute indemnité, l’indemnité de l’article L. 145-28 cesse d’être due à compter du jour où la décision devient exécutoire. Le bailleur peut alors réclamer une indemnité de droit commun (Cass. 3e civ., 3 juill. 1974, préc.).
4. Fixation du montant
4.1. Règles applicables
L’indemnité est fixée en application des règles relatives au loyer, et peut être différente du loyer précédent (Cass. 3e civ., 21 juin 1978, n° 76-15.538).
Elle n’est pas soumise au plafonnement : seule la valeur locative sert de base (Cass. 3e civ., 14 nov. 1978, n° 77-12.032 ; Cass. 3e civ., 13 avr. 1983, n° 81-14.471 ; Cass. 3e civ., 27 nov. 2002, n° 01-10.058 ; Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 20-15.296).
4.2. Précarité du locataire
Dans l’appréciation de la valeur locative, il faut tenir compte de la précarité de la situation du locataire évincé.
La cour d’appel de Paris a admis un abattement de 30 % (CA Paris, 18 nov. 1991, Loyers et copr. 1992, n° 178).
4.3. Indexation et modalités de fixation
Les juges peuvent ordonner l’indexation (Cass. 3e civ., 18 févr. 1987, n° 85-16.591 ; Cass. 3e civ., 13 oct. 1993, n° 91-16.942) ou décider d’une fixation année par année (Cass. 3e civ., 7 nov. 1990, n° 89-11.328).
4.4. Paiement provisoire
Tant que le montant n’est pas fixé judiciairement, le locataire doit régler une indemnité égale au précédent loyer, sans mise en demeure nécessaire (Cass. 3e civ., 11 févr. 2016, n° 14-28.091).
Même sans action en fixation introduite dans le délai biennal, la demande du bailleur en paiement d’une indemnité égale au dernier loyer reste recevable (Cass. 3e civ., 14 mars 2019, n° 18-11.991).
4.5. Exceptions
L’indemnité n’est pas due si le bailleur ne permet plus la jouissance des locaux (Cass. 3e civ., 26 juin 1991, n° 89-21.034).
5. Prescription
5.1. Délai applicable
L’action en paiement est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce (Cass. 3e civ., 2 juin 1993, n° 91-16.455 ; Cass. 3e civ., 15 févr. 1995, n° 92-17.159).
5.2. Point de départ
-
Si le droit à indemnité d’éviction n’est pas contesté : le délai court dès l’expiration du bail (Cass. 3e civ., 23 mars 1977, n° 75-15.533 ; Cass. 3e civ., 10 déc. 1997, n° 96-13.373).
-
Si le droit est contesté : le délai court du jour où le droit est définitivement consacré (Cass. 3e civ., 4 mai 1982, n° 80-15.792 ; Cass. 3e civ., 2 juin 1993, préc. ; Cass. 3e civ., 24 mars 1999, n° 97-17.011 ; Cass. 3e civ., 23 mars 2011, n° 10-13.898 ; Cass. 3e civ., 17 oct. 2012, n° 11-22.920).
5.3. Effets
La prescription éteint le droit de réclamer l’indemnité (Cass. 3e civ., 10 mars 2004, n° 02-16.548).
Elle n’est pas suspendue ni interrompue par l’assignation du locataire en fixation de l’indemnité d’éviction (Cass. 3e civ., 19 janv. 2000, n° 98-13.773).