1. La taxe foncière à la charge du bailleur
Le projet de loi de simplification de la vie économique introduit une évolution majeure en matière de répartition des charges dans les baux commerciaux. Il prévoit en effet de compléter l’article L. 145-40-2 du Code de commerce par un alinéa ainsi rédigé :
« La taxe foncière mentionnée à l’article 1380 du code général des impôts est à la charge du bailleur et automatiquement acquittée par ce dernier » (article 8 ter).
L’objectif affiché de cette réforme est clair : interdire définitivement la refacturation de la taxe foncière au preneur dans le cadre des baux commerciaux.
Une mesure d’ordre public
Comme l’ensemble des dispositions de l’article L. 145-40-2, ce nouvel alinéa relèverait du régime d’ordre public de l’article L. 145-15 du Code de commerce. Concrètement, toutes clauses ou stipulations contractuelles contraires seraient réputées non écrites. Autrement dit, il ne serait plus possible de déroger conventionnellement à cette interdiction, même par un accord exprès du locataire.
Une rupture avec le droit positif actuel
Cette disposition constituerait un renversement notable par rapport au droit positif. Actuellement, la refacturation de la taxe foncière est autorisée par l’article R. 145-35 du Code de commerce, qui prévoit expressément que « peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ». La pratique contractuelle consacre d’ailleurs très largement cette faculté : dans la plupart des baux commerciaux, la taxe foncière est supportée par le preneur, ce qui représente un poste de charges important.
L’adoption du projet mettrait donc fin à une logique historique de transfert de charges sur le locataire, au profit d’un rééquilibrage en faveur de ce dernier.
Les motivations de la réforme
L’amendement à l’origine de cette mesure, porté notamment par le Syndicat des indépendants et des TPE, s’inscrit dans une démarche de soutien aux petites structures économiques. L’exposé des motifs met en avant deux objectifs :
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alléger les charges qui pèsent sur les TPE et les commerçants indépendants, dont la survie est parfois compromise par le poids cumulé du loyer et des charges locatives ;
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lutter contre la désertification commerciale des centres-villes, en facilitant l’installation et le maintien d’activités de proximité.
Un champ d’application très large
La rédaction proposée ne distingue ni selon la nature du locataire (artisan, TPE, PME, grande entreprise), ni selon la destination des locaux (bureaux, commerces, entrepôts, locaux industriels). Elle vise donc l’ensemble des baux commerciaux, ce qui pourrait aboutir à un transfert massif de charges sur les bailleurs institutionnels et privés, y compris dans les secteurs où les locataires disposent d’une forte capacité contributive.
Une question cruciale : l’application aux baux en cours
Reste à déterminer si cette disposition s’appliquera uniquement aux baux conclus ou renouvelés après l’entrée en vigueur de la loi, ou si elle affectera également les baux en cours. Si tel devait être le cas, l’impact économique serait considérable : de nombreux bailleurs, notamment institutionnels, devraient assumer immédiatement une charge fiscale supplémentaire, sans possibilité de répercussion.
Cette interrogation renvoie à la distinction classique entre lois de procédure (d’application immédiate) et lois de fond (qui ne valent que pour l’avenir). Or, la question de la répartition contractuelle des charges relève indéniablement du fond, ce qui plaiderait en faveur d’une application non rétroactive. Toutefois, l’inscription dans une disposition d’ordre public laisse planer une incertitude qui ne sera levée qu’au moment de la publication de la loi et, le cas échéant, par la jurisprudence.
Une réforme potentiellement structurante
Si elle est confirmée, cette interdiction de refacturer la taxe foncière marquerait une rupture importante dans l’économie du bail commercial. Elle pourrait conduire les bailleurs à réévaluer leurs stratégies locatives, notamment en matière de fixation du loyer initial, afin de compenser ce transfert de charges. Pour les preneurs, il s’agirait d’un allégement direct et immédiat de charges récurrentes, améliorant la lisibilité et la prévisibilité de leur budget locatif.
2. La mensualisation du paiement des loyers
Le projet de loi de simplification de la vie économique consacre une évolution notable des modalités de paiement des loyers commerciaux. Il introduit en effet un droit pour le locataire de demander la mensualisation du règlement de ses loyers, y compris en cours de bail.
Un nouveau droit reconnu au locataire
Le texte prévoit que « le paiement mensuel du loyer sera de droit lorsque le preneur à bail d’un local destiné à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros ou de prestations de service à caractère commercial ou artisanal en fait la demande ».
Autrement dit, le principe reste celui de la liberté contractuelle (paiement trimestriel par avance dans la plupart des baux commerciaux), mais le preneur pourra imposer, par une simple demande, une mensualisation du loyer. Cette faculté s’apparente donc à un droit d’option unilatéral au bénéfice du locataire, auquel le bailleur ne pourra s’opposer.
Une application immédiate, même aux baux en cours
La mensualisation prendrait effet « à compter de l’échéance suivante de paiement du loyer prévue par le bail », sans condition supplémentaire. Cette précision est importante :
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elle signifie que la mesure s’appliquerait à tous les baux en cours, quelle que soit la rédaction contractuelle ;
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elle assure une mise en œuvre rapide et simple, sans délai de préavis ni renégociation contractuelle.
Initialement, le projet de texte subordonnait le droit à la mensualisation à l’absence d’arriérés de loyers. Or, les députés ont supprimé cette condition, considérant qu’elle vidait la mesure de son efficacité. Désormais, même un locataire débiteur de loyers impayés pourra bénéficier de ce droit.
Les objectifs poursuivis
Le législateur met en avant la volonté d’assouplir la trésorerie des commerçants et artisans, souvent fragilisée par le paiement anticipé et global des loyers trimestriels. La mensualisation permet un étalement plus régulier des charges et rapproche le paiement du loyer de la perception du chiffre d’affaires, ce qui améliore la gestion financière des petites structures.
L’amendement à l’origine de la mesure précise que l’instauration d’un paiement mensualisé vise à offrir « une meilleure fluidité de trésorerie aux TPE et PME » et à favoriser la stabilité de l’exploitation des commerces de proximité.
Un transfert de contraintes vers les bailleurs
Pour les bailleurs, cette évolution représente une contrainte nouvelle :
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perte du confort de trésorerie que procurait l’encaissement trimestriel ;
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alourdissement de la gestion administrative (encaissements plus fréquents, suivi des règlements multiplié par trois, etc.) ;
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risque accru d’impayés, le bailleur devant intervenir plus rapidement et plus régulièrement en cas de défaut de paiement.
Les bailleurs institutionnels, souvent dotés de systèmes de gestion automatisés, pourraient absorber cette réforme sans grande difficulté, mais les bailleurs particuliers risquent d’y voir une source de complexité.
Un impact économique à anticiper
Cette mesure pourrait avoir plusieurs effets indirects :
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certains bailleurs pourraient chercher à compenser cette perte de confort par une hausse du loyer facial, notamment lors de la conclusion ou du renouvellement d’un bail ;
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le paiement mensuel pourrait accroître la vigilance des bailleurs face aux retards de paiement et conduire à un usage plus systématique des clauses résolutoires en cas de manquements réitérés.
Une réforme protectrice mais à portée générale
Comme pour la taxe foncière, la mesure s’applique de façon indifférenciée à tous les locataires, sans distinction selon leur taille ou leur secteur d’activité. Ainsi, une grande enseigne disposant d’une forte capacité de trésorerie pourra également exiger la mensualisation de son loyer, alors même que la réforme a été pensée avant tout comme un levier de soutien aux petites structures commerciales.
Un nouvel équilibre contractuel
En pratique, la mensualisation des loyers marque une étape supplémentaire dans la tendance récente du législateur à réduire la liberté contractuelle des parties au bail commercial au profit d’une protection accrue du preneur (loi Pinel, loi ELAN, etc.). Elle constitue une nouvelle illustration du rééquilibrage du rapport de force entre bailleurs et locataires, qui pourrait, à terme, transformer l’économie générale des baux commerciaux.
3. La validité des clauses d’indexation « tunnel »
Le projet de loi de simplification de la vie économique introduit une innovation en matière d’indexation des loyers commerciaux. Il prévoit en effet que, par dérogation à l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, il serait possible de stipuler dans les baux de locaux à usage commercial une clause ayant pour objet d’encadrer, dans des proportions identiques à la hausse et à la baisse, la variation annuelle de l’indice des loyers commerciaux (ILC).
Qu’est-ce qu’une clause d’indexation « tunnel » ?
Les clauses dites « tunnel » ont pour objet de fixer une borne maximale et une borne minimale de variation du loyer en fonction de l’indice de référence.
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En pratique, le loyer ne pourra pas augmenter ou diminuer au-delà de la limite fixée par le contrat, par exemple ± 5 % par an.
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Ce mécanisme assure une prévisibilité accrue du loyer, en évitant des variations trop brutales.
Il s’agit donc d’une clause protectrice pour le bailleur comme pour le preneur, en stabilisant l’évolution des loyers.
Le droit actuel : une insécurité juridique
Actuellement, l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier prohibe les clauses qui écartent la variation dans un sens, c’est-à-dire qui n’admettent que la hausse ou que la baisse. La jurisprudence en a déduit que les clauses d’indexation asymétriques (par exemple, limitant les baisses mais pas les hausses) sont réputées non écrites.
En revanche, l’admissibilité des clauses « tunnel » a fait l’objet d’une jurisprudence fluctuante. Si certaines décisions ont pu admettre leur validité dès lors que la variation est symétrique, d’autres ont jugé que toute clause limitant l’application mécanique de l’indice contrevient au principe de réciprocité imposé par le Code monétaire et financier.
Cette incertitude a conduit à une grande prudence des praticiens, la rédaction de telles clauses exposant à un risque de contestation par le locataire ou le bailleur.
La réforme proposée : une consécration légale
Le projet de loi vient clarifier la situation en autorisant expressément les clauses d’indexation tunnel, mais uniquement pour les locaux à usage commercial et à condition que les limites fixées soient identiques à la hausse et à la baisse.
Ainsi, un bailleur et un preneur pourront stipuler que la variation du loyer liée à l’ILC ne pourra excéder ± 3 %, ± 5 % ou toute autre limite choisie, sans que la clause puisse être remise en cause comme contraire au droit de l’indexation.
Une mesure équilibrée
La réforme répond à une double logique :
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protéger les preneurs contre des hausses excessives en période d’inflation forte (comme celle observée ces dernières années sur l’ILC),
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sécuriser les bailleurs en garantissant que la baisse de l’indice ne pourra pas conduire à une réduction trop importante du loyer.
Le dispositif consacre donc une forme de stabilité contractuelle, en encadrant les variations tout en respectant la réciprocité.
Limites et interrogations
Plusieurs points demeurent cependant à préciser :
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La dérogation ne concerne que les baux de locaux à usage commercial. Les baux à usage exclusivement professionnel ou les baux portant sur des locaux industriels ou logistiques ne seraient donc pas concernés.
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La question se pose de savoir si cette autorisation s’appliquera aux baux en cours, permettant de valider rétroactivement des clauses potentiellement contestables, ou seulement aux baux conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.
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Enfin, il conviendra d’évaluer la compatibilité de cette disposition avec les principes de protection du consommateur et de lutte contre les clauses abusives, notamment dans les hypothèses où le preneur est une très petite entreprise.
Une sécurisation bienvenue pour la pratique
En tout état de cause, cette consécration légale des clauses « tunnel » devrait être bien accueillie par les praticiens. Elle offre une sécurité juridique à une pratique contractuelle largement répandue, mais jusqu’ici exposée à des contentieux. Pour les bailleurs comme pour les preneurs, elle représente un outil de gestion du risque, permettant d’anticiper et de lisser les fluctuations de l’ILC dans un cadre légal clair et stable.
4. L’encadrement des garanties locatives
Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit une réforme significative concernant les garanties financières exigées par les bailleurs dans les baux commerciaux.
Le principe posé : un plafond équivalent à un trimestre de loyer
Selon le texte, « les sommes payées à titre de garantie par le preneur à bail d’un local [destiné à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros ou de prestations de service à caractère commercial ou artisanal], qu’elles soient versées ou fournies par des tiers, ne peuvent excéder le montant des loyers dus au titre d’un trimestre. Ces sommes ne portent pas intérêt au profit du preneur à bail ».
Le mécanisme est clair :
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le cumul de toutes les garanties financières exigées par le bailleur (dépôt de garantie, cautionnement, garantie autonome, etc.) ne pourra dépasser un plafond équivalent à trois mois de loyers ;
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aucune rémunération de ces sommes n’est prévue au profit du locataire, ce qui confirme la règle habituelle selon laquelle le dépôt de garantie en matière commerciale est un dépôt non productif d’intérêts.
Une application ciblée mais large
Cette mesure ne concernerait que les locaux affectés au commerce de détail ou de gros et aux prestations de service à caractère commercial ou artisanal, soit le même périmètre que celui retenu pour la mensualisation des loyers.
Autrement dit, les locaux de bureaux, les entrepôts logistiques ou les locaux industriels resteraient exclus du champ de la réforme.
En revanche, l’application serait très large dans la catégorie visée : la règle concernerait tous les baux en cours, quelle que soit la stipulation contractuelle, ce qui constitue une atteinte directe à la liberté contractuelle des parties.
Une obligation de restitution en cas de dépassement
Le texte prévoit que si, à la date de promulgation de la loi, le bailleur détient déjà des garanties dont le montant excède le plafond autorisé, il disposera d’un délai de six mois pour régulariser la situation, soit en restituant les sommes excédentaires au preneur, soit en renonçant aux garanties excédentaires.
Cette disposition est particulièrement contraignante pour les bailleurs :
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elle les oblige à réduire leurs exigences de couverture financière,
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elle entraîne un transfert de risque économique vers eux, en limitant leur capacité à se prémunir contre les impayés de loyers ou les dégradations locatives.
Un changement de paradigme
Traditionnellement, dans les baux commerciaux, le dépôt de garantie pouvait représenter plusieurs mois de loyers (parfois jusqu’à six ou douze mois, notamment lorsque le bailleur acceptait de consentir des franchises de loyers ou d’accueillir un preneur dont la solidité financière était limitée). De plus, il est courant de cumuler un dépôt de garantie avec un engagement de caution d’un tiers.
En plafonnant le montant cumulé de ces garanties à un trimestre, le projet de loi vient profondément restreindre cette pratique.
Les objectifs affichés
L’objectif mis en avant par le législateur est de faciliter l’accès des commerçants, artisans et TPE à un bail commercial, en réduisant le poids financier de l’entrée dans les lieux. Les dépôts de garantie élevés constituent en effet un frein important à l’installation, notamment pour les jeunes entrepreneurs ou les structures à faible capitalisation.
Cette mesure s’inscrit donc dans une politique de soutien au commerce de proximité et de lutte contre la désertification commerciale des centres-villes.
Les interrogations soulevées
Plusieurs questions pratiques se posent néanmoins :
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Le plafond inclut-il uniquement les garanties financières (dépôts de garantie, sommes bloquées) ou également les garanties personnelles (cautions, garanties bancaires) ? La rédaction du texte (« sommes payées ou fournies ») semble inclure aussi bien les garanties en numéraire que les garanties données par un tiers.
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Quelle sera la portée de cette limitation pour les bailleurs institutionnels (centres commerciaux, foncières), qui conditionnent souvent la conclusion du bail à l’obtention de garanties bancaires importantes ?
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Le texte ne distingue pas selon la situation du preneur : une grande enseigne nationale, parfaitement solvable, bénéficiera du même plafonnement qu’un artisan isolé, alors même que le risque locatif n’est pas comparable.
Une réforme protectrice mais potentiellement risquée
Cette réforme, protectrice pour les preneurs, pourrait avoir des effets paradoxaux :
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décourager certains bailleurs à louer leurs locaux à des structures fragiles, faute de pouvoir exiger des garanties suffisantes,
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encourager une sélection accrue des locataires sur la base de leur solidité financière, ce qui pourrait en réalité pénaliser les TPE les plus fragiles,
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inciter les bailleurs à majorer le loyer facial ou à restreindre les franchises de loyers pour compenser la perte de sécurité financière.
5. Le sort du dépôt de garantie
Le projet de loi de simplification de la vie économique consacre plusieurs dispositions destinées à sécuriser et encadrer le sort du dépôt de garantie dans le cadre des baux commerciaux.
Transmission du dépôt de garantie en cas de mutation des locaux
Le texte prévoit que, lorsque les locaux donnés à bail sont cédés pendant la durée du contrat, l’obligation de restitution du dépôt de garantie est automatiquement transmise au nouveau bailleur.
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Concrètement, si l’immeuble est vendu, l’acquéreur devient débiteur vis-à-vis du preneur du remboursement du dépôt de garantie en fin de bail.
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Corrélativement, il appartiendra au vendeur et à l’acquéreur de régulariser entre eux la transmission du montant du dépôt (l’acquéreur remboursant au vendeur la somme détenue).
Cette règle vise à donner une base légale à une pratique déjà courante, mais qui pouvait parfois donner lieu à des litiges, notamment lorsque l’acte de vente des murs omettait de prévoir la reprise du dépôt de garantie. Désormais, la loi offrirait une sécurité accrue au preneur, qui n’aura plus à craindre que la mutation de l’immeuble le prive de son droit à restitution.
Restitution du dépôt de garantie en fin de bail
Le projet encadre également les modalités de restitution en fin de bail. Le texte impose au bailleur (ou à son mandataire) de restituer le dépôt de garantie :
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dans un délai raisonnable, qui ne pourra excéder trois mois à compter de la remise des clés par le locataire,
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déduction faite :
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des sommes restant dues au titre du bail (arriérés de loyers, charges, indemnités),
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et des sommes que le bailleur pourrait être tenu de régler à la place du preneur, à condition qu’elles soient dûment justifiées.
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Cette disposition vise à encadrer une pratique souvent source de tension : de nombreux bailleurs retiennent le dépôt de garantie pendant plusieurs mois, voire plus, au motif de vérifier l’état des lieux, d’attendre les régularisations de charges ou de couvrir d’éventuelles dégradations.
Désormais, un délai légal de restitution est prévu, apportant davantage de prévisibilité et de protection au preneur.
Comparaison avec le régime du bail d’habitation
On retrouve ici une logique proche de celle applicable aux baux d’habitation (article 22 de la loi du 6 juillet 1989), qui impose également un délai maximum de restitution du dépôt de garantie. Toutefois, deux différences notables subsistent :
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le délai prévu pour les baux commerciaux est de trois mois, contre un à deux mois en matière d’habitation ;
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la loi maintient la possibilité pour le bailleur de retenir les sommes dont il pourrait être tenu « aux lieux et place du preneur », ce qui élargit les hypothèses de compensation (par exemple, dettes fiscales ou sociales liées à l’exploitation du preneur dans les lieux).
Les enjeux pratiques de la réforme
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Pour les preneurs : la réforme constitue une garantie essentielle de récupération rapide des sommes immobilisées parfois pendant de nombreuses années. Le dépôt de garantie représente souvent plusieurs mois de loyers et constitue une charge de trésorerie importante.
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Pour les bailleurs : la contrainte principale réside dans l’obligation de restituer dans un délai court, y compris lorsque toutes les régularisations de charges de copropriété ne sont pas encore connues. Ils devront donc anticiper et ajuster leurs pratiques de gestion, quitte à procéder à des retenues dûment justifiées pour se protéger.
Une sécurisation du rapport locatif
La codification du régime du dépôt de garantie en matière de baux commerciaux participe d’une volonté de sécuriser les relations contractuelles et de limiter le contentieux récurrent relatif à la restitution de ces sommes. Elle clarifie les obligations des parties et réduit la marge d’incertitude qui pouvait exister en l’absence de texte spécifique.
6. L’encadrement de la clause résolutoire
La clause résolutoire est un mécanisme central du bail commercial : elle permet au bailleur de mettre fin automatiquement au contrat en cas de manquement du locataire à ses obligations, le plus souvent pour défaut de paiement des loyers ou des charges. Si son efficacité n’est plus à démontrer, elle est aussi source de nombreux litiges, en particulier lorsque le preneur conteste le bien-fondé de sa mise en œuvre ou sollicite des délais de paiement.
Le projet de loi de simplification de la vie économique entend encadrer davantage ce dispositif, dans une logique de protection accrue des preneurs et de rééquilibrage des relations contractuelles.
La règle de droit actuel
Actuellement, l’article L. 145-41 du Code de commerce prévoit que la clause résolutoire ne peut produire effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Pendant ce délai, le locataire peut régulariser sa situation. Le juge peut également, sur le fondement de l’article 1343-5 du Code civil, accorder des délais de paiement et suspendre les effets de la clause résolutoire.
Toutefois, la pratique montre que le système actuel génère une grande insécurité pour le preneur : dès l’expiration du délai d’un mois, le bailleur peut solliciter en justice la constatation de la résiliation du bail, même si le preneur est de bonne foi ou si sa difficulté est temporaire.
Les apports du projet de loi
Le projet introduit plusieurs ajustements notables :
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Clarification de la suspension judiciaire : le texte confirmerait que lorsque le juge accorde des délais de paiement, la clause résolutoire est automatiquement suspendue, sans que le bailleur puisse demander la résiliation avant l’expiration de ces délais.
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Encadrement du recours à la clause résolutoire : il serait prévu que la résiliation ne peut être constatée par le juge qu’après avoir vérifié la proportionnalité de la sanction au regard du manquement reproché, ce qui renforcerait son pouvoir d’appréciation.
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Harmonisation procédurale : le texte viserait à réduire les divergences de jurisprudence en fixant des règles uniformes d’application de la clause, notamment sur la question du paiement partiel postérieur au commandement.
Une volonté de protection du preneur
L’esprit de la réforme est clairement de limiter les conséquences souvent radicales de la clause résolutoire. Plusieurs objectifs sont poursuivis :
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éviter les résiliations automatiques disproportionnées, par exemple en cas de retard minime ou d’erreur matérielle,
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favoriser la continuité de l’exploitation commerciale, en donnant davantage de marges au juge pour sauver le bail,
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sécuriser la pratique judiciaire, en codifiant des solutions jurisprudentielles parfois divergentes.
Les réserves des bailleurs
Du point de vue des bailleurs, cette réforme est perçue comme une atteinte à l’efficacité de la clause résolutoire, considérée comme un outil essentiel de protection contre les impayés. Ils craignent notamment :
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un allongement des délais de procédure pour obtenir la résiliation,
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une incertitude accrue quant à l’issue des contentieux, le juge étant invité à apprécier la proportionnalité au cas par cas,
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une possible banalisation des retards de paiement, les preneurs pouvant compter sur une certaine tolérance judiciaire.
Un équilibre délicat
Cette évolution s’inscrit dans la continuité de la tendance législative amorcée depuis la loi Pinel, qui renforce progressivement les droits du preneur. Elle traduit la volonté de l’État de soutenir le commerce de proximité, mais au prix d’une diminution de la sécurité juridique pour les bailleurs.
En pratique, elle pourrait inciter ces derniers à durcir les conditions initiales de conclusion du bail (sélection plus stricte des locataires, loyers plus élevés, franchises réduites), afin de compenser le risque accru de difficultés en cours de contrat.
7. L’absence de modification du droit de préemption « Pinel »
Le droit de préemption du locataire commercial, introduit par la loi Pinel du 18 juin 2014 (article L. 145-46-1 du Code de commerce), constitue l’une des innovations majeures du statut des baux commerciaux de ces dernières années. Il permet au preneur, en cas de vente des locaux dans lesquels il exploite son fonds de commerce, de se porter acquéreur prioritaire aux conditions fixées par le bailleur.
Le droit positif actuel
Aux termes de l’article L. 145-46-1, ce droit s’applique à la vente d’un « local à usage commercial ou artisanal » loué au titre d’un bail commercial.
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Le bailleur qui envisage de vendre doit notifier au locataire son projet, cette notification valant offre de vente.
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Le preneur dispose alors d’un délai d’un mois pour se prononcer.
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À défaut de respect de cette procédure, la sanction est lourde : nullité de la vente à la demande du locataire.
Les difficultés pratiques rencontrées
En pratique, la notion de « local à usage commercial ou artisanal » s’est révélée délicate à cerner. Les bailleurs, par prudence, procèdent souvent à une notification au preneur même lorsque la qualification juridique du local est incertaine (par exemple, locaux mixtes, bureaux utilisés partiellement pour une activité commerciale, locaux de stockage attenants à un commerce, etc.).
Cette prudence aboutit à :
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une multiplication des notifications, parfois dans des cas où le texte n’était pas censé s’appliquer ;
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un contentieux nourri autour de la nullité des ventes pour non-respect du droit de préemption, les locataires invoquant fréquemment l’irrégularité de la procédure.
La réforme initialement envisagée
Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoyait de préciser la définition des « locaux à usage commercial » et des « locaux à usage artisanal », afin de :
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limiter le champ d’application du droit de préemption,
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réduire les notifications opérées « par précaution »,
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diminuer le nombre de contentieux en nullité de vente.
En d’autres termes, il s’agissait de restreindre et de clarifier le périmètre du droit de préemption Pinel.
Le choix du maintien du statu quo
Cette réforme a finalement été écartée par les députés lors de l’examen du texte. La raison invoquée est que la modification envisagée aurait eu pour conséquence de réduire le champ de protection du locataire, en restreignant ses droits en cas de vente.
Le droit positif reste donc inchangé :
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le bailleur doit continuer à notifier son projet de vente dès lors que les locaux loués peuvent être qualifiés de « locaux à usage commercial ou artisanal »,
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en cas de doute, la prudence commande de notifier pour éviter toute action en nullité de la vente.
Les questions qui demeurent
L’absence de clarification législative maintient une certaine incertitude. En particulier, se pose la question de savoir si la notion de « local à usage commercial ou artisanal » doit être interprétée de la même manière que celle retenue pour d’autres dispositions récentes, telles que la mensualisation des loyers ou le plafonnement des garanties locatives, qui concernent également des « locaux destinés à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros ou de prestations de service à caractère commercial ou artisanal ».
Cette interrogation révèle une incohérence potentielle :
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le droit de préemption « Pinel » repose sur une catégorie de locaux définie de façon large et encore incertaine ;
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les nouvelles réformes en matière de loyers et de garanties financières introduisent une catégorie spécifique et plus ciblée de locaux, sans articulation claire avec le dispositif existant.
Une source persistante d’insécurité juridique
En l’absence de précision législative, il appartiendra une nouvelle fois à la jurisprudence d’affiner l’interprétation. Les praticiens devront donc continuer à faire preuve d’une prudence contractuelle accrue, en privilégiant la notification systématique au preneur afin de neutraliser le risque contentieux.
Cette situation illustre une tendance récurrente du droit des baux commerciaux : une multiplication de textes protecteurs du locataire, mais dont le champ d’application imprécis alimente paradoxalement l’insécurité juridique des bailleurs et des investisseurs.
Conclusion
Le projet de loi de simplification de la vie économique introduit des réformes profondes en matière de baux commerciaux : interdiction de refacturer la taxe foncière, mensualisation des loyers, sécurisation des clauses d’indexation « tunnel », encadrement des garanties locatives et restitution du dépôt de garantie, ainsi qu’un contrôle renforcé de la clause résolutoire.
Ces mesures marquent une volonté de rééquilibrer la relation bailleur–preneur au profit des commerçants et artisans, mais leur mise en œuvre suscitera inévitablement de nouvelles interrogations pratiques et contentieuses.
Les entreprises, bailleurs comme preneurs, devront donc adapter leurs stratégies contractuelles pour anticiper ces évolutions.
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