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L’indemnité d’éviction dans les résidences de tourisme : enjeux juridiques, contentieux et perspectives de réforme

L’indemnité d’éviction dans les résidences de tourisme : enjeux juridiques, contentieux et perspectives de réforme

L’investissement en résidence de tourisme s’est développé à grande échelle au cours des vingt dernières années, dans un contexte fiscalement attractif et économiquement prometteur. Portée par le statut de Loueur en Meublé Non Professionnel (LMNP), la promesse d’un revenu locatif sécurisé, sans les contraintes de gestion, a séduit des milliers d’investisseurs particuliers.

Mais derrière la simplicité apparente du modèle se cache un régime juridique bien plus complexe, fondé sur le bail commercial, avec en corollaire une protection renforcée du locataire-exploitant. Ce dernier, souvent filiale d’un grand groupe, bénéficie d’un droit au renouvellement du bail et, à défaut, d’un droit à indemnité d’éviction, dont le montant peut excéder les capacités financières du propriétaire, voire compromettre la rentabilité de l’investissement.

Dans les résidences de tourisme, le droit à l’indemnité d’éviction constitue un levier stratégique majeur pour l’opérateur, un risque juridique pour le bailleur, et un enjeu de régulation sectorielle pour les pouvoirs publics. Cet article propose une analyse complète du régime applicable, de ses implications concrètes, et des réformes nécessaires pour en rétablir l’équilibre.


I. Le bail commercial en résidence de tourisme : un statut consolidé mais déséquilibré

A. Une qualification désormais indiscutable

La relation entre un propriétaire-investisseur et un exploitant de résidence de tourisme est, dans la quasi-totalité des cas, réputée relever du statut des baux commerciaux (article L. 145-1 du Code de commerce).

Longtemps discutée, la notion de fonds de commerce « mutualisé » a été validée par la jurisprudence. Peu importe que la clientèle ne soit pas propre à chaque lot. Il suffit que l’exploitant anime un fonds constitué de l’ensemble des biens mis à disposition au sein de la résidence, ce qui est systématiquement le cas. La Cour de cassation, dans plusieurs décisions (notamment 3e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.121), l’a affirmé sans ambiguïté.

Conséquence directe : le locataire est protégé par l’ensemble des dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux, notamment le droit au renouvellement du bail et le droit à une indemnité d’éviction en cas de refus.

B. L’impact de la loi Novelli : sécurité pour l’opérateur, rigidité pour le bailleur

La loi du 22 juillet 2009, dite loi Novelli, a introduit des règles spécifiques aux résidences de tourisme :

  • Le bail doit avoir une durée minimale de neuf ans, sans faculté de résiliation triennale pour le preneur (art. L. 145-7-1 C. com.).

  • L’exploitant doit tenir un compte d’exploitation distinct par résidence et le transmettre annuellement à tout bailleur qui en fait la demande (art. L. 321-2 C. tourisme).

L’objectif : favoriser la stabilité de l’exploitation touristique à long terme. Mais pour le bailleur, cela signifie une immobilisation prolongée du bien, avec peu de latitude pour adapter les conditions économiques à l’évolution du marché.


II. Le droit à indemnité d’éviction : principe, conditions et procédure

 

A. Une protection d’ordre public

L’article L. 145-14 du Code de commerce prévoit que le bailleur qui refuse le renouvellement doit verser une indemnité compensant intégralement le préjudice subi par le preneur du fait de la perte de son fonds ou, à défaut, de son droit au bail.

La logique est simple : le fonds de commerce constitue un actif économique protégé. Le refus de renouvellement doit être neutralisé financièrement par le versement d’une indemnité couvrant :

  • la valeur du fonds, si celui-ci est perdu,

  • les frais de transfert, si un relogement est possible,

  • les préjudices accessoires, souvent sous-estimés (licenciements, remploi, perte d’image…).

Aucune clause contractuelle ne peut écarter cette indemnité ou la limiter. Toute stipulation contraire est réputée non écrite (art. L. 145-15 C. com.).

B. Les conditions à remplir

Pour bénéficier d’une indemnité d’éviction, le locataire doit démontrer :

  1. Un bail commercial valide, en cours au jour du congé.

  2. Une immatriculation RCS ou RM, confirmant son statut de commerçant.

  3. Une exploitation effective du fonds depuis au moins trois ans.

  4. Un congé régulier, notifié par commissaire de justice, avec refus exprès de renouvellement.

La charge de la preuve pèse en partie sur le locataire (exploitation, immatriculation), mais aussi sur le bailleur (validité du congé, justification du refus).


III. Le maintien dans les lieux et le droit de repentir : leviers procéduraux majeurs

A. Maintien dans les lieux : un moyen de pression pour l’exploitant

Tant que l’indemnité d’éviction n’a pas été versée, l’exploitant dispose d’un droit au maintien dans les lieux, en contrepartie du paiement d’une indemnité d’occupation fixée judiciairement (art. L. 145-28 C. com.).

Ce mécanisme, parfois mal connu des bailleurs, permet à l’opérateur de prolonger son occupation pendant toute la durée de la procédure (parfois 3 à 5 ans), empêchant toute réaffectation du local.

B. Droit de repentir : une « porte de sortie » pour le bailleur

Une fois l’indemnité fixée judiciairement, le bailleur dispose de quinze jours pour faire jouer son droit de repentir (art. L. 145-58 C. com.). Il peut alors renoncer à l’éviction et proposer le renouvellement du bail.

Ce droit est stratégique : si le montant fixé est jugé excessif, le bailleur peut préférer la reconduction, évitant une sortie financière massive. C’est aussi un outil de négociation en phase contentieuse.


IV. La détermination de l’indemnité d’éviction : un exercice technique à fort enjeu

A. Caractérisation du fonds de commerce touristique

Le fonds de commerce mutualisé de l’exploitant repose sur l’exploitation globale de la résidence. Le lot du bailleur y participe à travers :

  • sa contribution au chiffre d’affaires,

  • son attractivité (emplacement, confort, équipements),

  • sa rareté ou sa valeur stratégique (lot atypique, vue dégagée, jardin…).

L’évaluation du préjudice dépendra notamment de la transférabilité du fonds : si le fonds est intransférable (ce qui est fréquent), l’indemnité compensera sa perte totale (indemnité de remplacement). Dans le cas contraire, seule l’indemnisation des frais de transfert est due.

B. Méthodes d’évaluation utilisées

Les experts judiciaires combinent plusieurs approches :

  • Méthode par le chiffre d’affaires : application d’un coefficient sur le CA moyen HT.

  • Méthode EBE / CAF : capitalisation de l’excédent brut d’exploitation, plus fidèle à la rentabilité réelle.

  • Méthode DCF (Discounted Cash Flow) : actualisation des flux de trésorerie futurs, utilisée pour les exploitations complexes.

  • Méthode comparative : fondée sur les barèmes professionnels ou les cessions comparables dans le secteur.

Le choix des hypothèses (taux de capitalisation, durée de projection, qualité des données) est hautement litigieux et fait souvent l’objet d’oppositions entre parties.


V. Les indemnités accessoires : reconstitution intégrale du préjudice

Outre l’indemnité principale, de nombreuses indemnisations complémentaires peuvent être réclamées :

  • Frais de remploi (déménagement, réinstallation, communication),

  • Licenciements économiques, si des salariés sont affectés exclusivement au site évincé,

  • Pertes sur stocks, si les biens ne sont pas transférables,

  • Travaux non amortis, réalisés par l’exploitant dans les lieux,

  • Trouble commercial (perte de notoriété, atteinte à l’image),

  • Frais de procédure non récupérables.

Chaque poste doit être chiffré précisément et justifié par des pièces : factures, devis, bilans, rapports financiers…


VI. La transparence comptable : outil clé de valorisation et d’anticipation

A. L’article L. 321-2 du Code du tourisme : un fondement sous-exploité

L’obligation faite à l’exploitant de tenir un compte d’exploitation distinct vise à favoriser la transparence entre les parties. Ce compte doit permettre :

  • d’identifier la rentabilité de la résidence,

  • d’évaluer la part contributive de chaque lot,

  • de préparer sereinement l’éventuelle fin du bail.

Dans les faits, cette obligation est souvent méconnue, ignorée ou contournée, ce qui crée une opacité nuisible aux bailleurs.

B. Les recours du bailleur : astreinte et contentieux

En cas de refus de communication, le bailleur peut saisir le juge des référés pour en obtenir la remise sous astreinte (Cass. 3e civ., 28 févr. 2017, n° 16-21.458).

Il est impératif d’agir avant l’expertise judiciaire, pour que l’expert dispose d’une base fiable et actualisée. À défaut, l’évaluation reposera sur des données génériques, souvent défavorables au bailleur.


VII. Stratégies procédurales : anticipation, négociation, sécurisation

A. Du côté du bailleur

  • Anticiper les risques dès l’achat : inclure une analyse du contrat de bail dans la due diligence.

  • Contrôler la validité du congé : rédaction rigoureuse, respect des délais, justification du refus.

  • Évaluer l’opportunité d’une transaction ou d’une cession à un tiers.

  • Recourir à des experts indépendants avant l’expertise judiciaire.

  • Mobiliser le droit de repentir en dernier recours.

B. Du côté de l’exploitant

  • Tenir une comptabilité transparente, distincte et à jour.

  • Préparer un dossier chiffré complet, avec évaluation amiable du fonds.

  • Justifier de tous les préjudices accessoires.

  • Rester ouvert à une solution négociée, surtout en cas de contentieux long.

  • Valoriser le maintien dans les lieux, outil de pression puissant.


VIII. Quelles réformes pour un immobilier géré plus équilibré ?

Face aux déséquilibres constatés, plusieurs axes de réforme peuvent être envisagés :

  1. Renforcer l’information précontractuelle : notice explicative obligatoire lors de l’achat.

  2. Instaurer un barème indicatif ou un plafonnement de l’indemnité d’éviction spécifique aux résidences de tourisme.

  3. Uniformiser la présentation des comptes d’exploitation, via un format normalisé ou une plateforme numérique centralisée.

  4. Rendre obligatoire une médiation avant tout contentieux.

  5. Créer une autorité sectorielle pour réguler le marché et centraliser les données.


Conclusion : pour une indemnité d’éviction juste et prévisible

L’indemnité d’éviction dans les résidences de tourisme n’est pas un simple mécanisme d’indemnisation : elle conditionne la sécurité juridique des investisseurs, la pérennité de l’exploitation commerciale, et l’équilibre économique des contrats. Sa gestion exige une technicité juridique élevée, une analyse financière fine et une anticipation stratégique à chaque étape du bail.

Chez Negotium Avocats, nous intervenons aux côtés des bailleurs comme des exploitants pour défendre leurs intérêts, sécuriser les procédures et optimiser les évaluations. Notre expérience dans le contentieux commercial lié aux résidences de tourisme nous permet de proposer une approche sur mesure, à la croisée du droit, de l’économie et de la stratégie patrimoniale.

   
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