Par le cabinet Negotium Avocats – Avocats en droit des baux commerciaux
Référence : CA Lyon, 1re civ. A, 13 mars 2025, n° 22/02387
Dans le prolongement de Cass. 3e civ., 22 juin 2022, n° 21-16.042
📚 Introduction : le loyer commercial, entre liberté contractuelle et ordre public économique
La fixation et l’évolution du loyer commercial s’inscrivent dans un cadre juridique particulièrement structuré, fruit d’un compromis entre la liberté contractuelle et les exigences d’ordre public du statut des baux commerciaux.
Trois mécanismes de variation du loyer sont reconnus par la jurisprudence et la loi :
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La révision triennale légale (article L. 145-38 du Code de commerce) ;
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La clause d’indexation licite, soumise à des conditions strictes de réciprocité et de lien avec un indice pertinent (articles L. 145-39 du Code de commerce et L. 112-1 du Code monétaire et financier) ;
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Le jeu de la clause d’indexation ayant entraîné une variation de plus du quart, qui permet une révision anticipée (article L. 145-39 du Code de commerce).
En marge de ces mécanismes s’est développée une pratique contractuelle consistant à prévoir, non pas une indexation, mais une augmentation forfaitaire du loyer, convenue d’avance par les parties.
🧾 Les faits : un bail commercial assorti d’une clause d’augmentation annuelle garantie
Dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 13 mars 2025, n° 22/02387), un couple a donné à bail commercial un lot situé dans un immeuble à usage d’EHPAD à une société exploitante.
Le contrat prévoyait, sous un paragraphe intitulé « Loyer et indexation », que le loyer serait augmenté de 1,5 % net chaque 1er janvier, à compter de la troisième année.
La locataire a soutenu que cette stipulation, qualifiée à tort selon elle d’indexation, devait être réputée non écrite car incompatible avec les prescriptions du statut des baux commerciaux, notamment celles du Code de commerce et du Code monétaire et financier.
Elle sollicitait en conséquence :
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la restitution des loyers trop perçus sur les cinq dernières années,
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la nullité de la clause litigieuse, et
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la fixation judiciaire du loyer.
⚖️ La solution des juges : une clause valable car détachée de toute indexation
La cour d’appel de Lyon valide sans réserve la clause.
S’appuyant sur l’interprétation du premier juge, qu’elle adopte expressément, elle affirme que la clause :
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n’instaure aucun mécanisme d’indexation : elle ne fait référence à aucun indice économique (INSEE, ICC, ILC, ILAT…) ;
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n’est soumise à aucun aléa : le taux est fixé d’avance, sans lien avec des éléments extérieurs ;
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fixe à l’avance un loyer progressif, sans remettre en cause la possibilité d’appliquer les mécanismes légaux de révision.
Il s’agit donc, selon la cour, d’une clause autonome d’augmentation forfaitaire, distincte des mécanismes de révision et d’indexation et pleinement valable au regard du droit positif.
🔍 Un arrêt dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation
L’analyse développée par la cour d’appel de Lyon s’inscrit parfaitement dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Dans un arrêt fondamental du 22 juin 2022 (Cass. 3e civ., n° 21-16.042), la Haute juridiction avait déjà validé une clause prévoyant que « le loyer sera révisé à la hausse, forfaitairement, de 4,5 % le 1er janvier de chaque année », en jugeant que cette clause :
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ne relevait d’aucun des cas de révision prohibée,
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et n’était pas soumise aux conditions de validité des clauses d’indexation.
La Cour de cassation a ainsi consacré la licéité des clauses dites « à paliers », qui organisent une augmentation fixe et régulière du loyer, sans dépendre d’un indice.
🧠 Distinction essentielle : clause d’indexation vs clause d’augmentation forfaitaire
Le débat doctrinal et jurisprudentiel repose sur la nature exacte de ces clauses.
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La clause d’indexation est soumise aux contraintes de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier. Elle implique une variation dépendante d’un indice. Si elle ne prévoit qu’une variation unilatérale (par exemple, uniquement à la hausse), elle est réputée non écrite.
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La clause d’augmentation forfaitaire est au contraire détachée de tout indice. Elle repose sur un pourcentage déterminé par avance. Ce mécanisme ne constitue ni une révision au sens de l’article L. 145-38, ni une indexation, et reste donc licite.
⚠️ Une solution encore débattue : la prudence reste de mise
Malgré cette position ferme de la Cour de cassation, la jurisprudence d’appel demeure partagée.
La cour d’appel de Paris a ainsi jugé, dans un arrêt du 25 avril 2024 (n° 21/14916), qu’une augmentation forfaitaire de 2 % par an devait être réputée non écrite, considérant qu’il s’agissait en réalité d’une clause déguisée de révision unilatérale, contraire à l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier.
Cette divergence de jurisprudence révèle l’instabilité persistante du régime des clauses de variation du loyer, dès lors que le texte ne respecte pas une stricte neutralité.
📈 Conséquences pratiques pour les bailleurs et preneurs
Pour les bailleurs, une clause d’augmentation forfaitaire présente plusieurs avantages :
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elle assure une revalorisation automatique et prévisible du loyer, sans dépendre de l’indice INSEE (dont les évolutions peuvent être faibles) ;
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elle permet de fixer à l’avance une courbe d’évolution du loyer, utile notamment dans les baux longs (9, 12 ou 15 ans).
Pour les locataires, le danger est d’être liés à une progression rigide, sans lien avec l’activité réelle ni avec la conjoncture économique.
Toute clause d’augmentation forfaitaire doit donc être négociée avec rigueur, en tenant compte :
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de la durée du bail,
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des perspectives économiques du secteur,
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et de la valeur locative de marché.
✅ Conclusion : vers une consolidation du régime, mais à rédiger avec vigilance
L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 13 mars 2025 confirme la tendance jurisprudentielle actuelle en faveur de la validité des clauses d’augmentation forfaitaire du loyer commercial.
Toutefois, la rédaction de ces clauses exige une extrême rigueur, tant pour éviter leur requalification en clause d’indexation illicite, que pour préserver l’équilibre contractuel entre les parties.
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