Cour de cassation, com., 12 juin 2025, n° 23-22.076
L’articulation entre les procédures collectives successives et les droits du bailleur commercial fait l’objet d’une jurisprudence de plus en plus technique. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 2025 (n° 23-22.076), rappelle que la résolution du plan de redressement judiciaire du preneur et l’ouverture concomitante de sa liquidation judiciaire constituent l’ouverture d’une nouvelle procédure collective, qui oblige le bailleur à respecter un nouveau délai de trois mois avant de solliciter la résiliation judiciaire du bail pour loyers impayés.
1. Le cadre juridique applicable
La Haute juridiction articule les textes suivants du Code de commerce et du Code de procédure civile :
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Article L. 622-14, 2° du Code de commerce, applicable au redressement judiciaire ;
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Articles L. 641-11-1 I et II et L. 641-12, 3° du Code de commerce, applicables à la liquidation judiciaire ;
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Article L. 622-27 du Code de commerce, sur l’opposabilité des décisions prises dans le cadre du redressement ;
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Article 500 du Code de procédure civile, sur l’autorité de la chose jugée.
Elle en déduit que la liquidation judiciaire ouverte après la résolution du plan constitue une procédure distincte du redressement, ouvrant un nouveau délai de trois mois au bénéfice du débiteur, délai pendant lequel le bail ne peut être résilié pour défaut de paiement des loyers postérieurs à l’ouverture de la procédure.
2. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt
La société preneuse à bail est placée en redressement judiciaire le 23 octobre 2019. En cours de période d’observation, les bailleresses saisissent le juge-commissaire pour demander la résiliation des baux commerciaux, en raison d’impayés postérieurs au jugement d’ouverture.
Le juge-commissaire fait droit aux demandes. Mais pendant l’appel des décisions, le plan de redressement est résolu, et le 8 mars 2023, une procédure de liquidation judiciaire est ouverte.
Le 12 avril 2023, un plan de cession est arrêté, lequel inclut la cession des baux litigieux.
Pour autant, la cour d’appel confirme la résiliation des baux, au motif qu’au moment du dépôt des requêtes des bailleresses (au terme du délai de trois mois suivant l’ouverture du redressement judiciaire), des loyers étaient impayés.
3. La cassation fondée sur le changement de procédure collective
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle que la liquidation judiciaire ouverte à la suite de la résolution du plan constitue une nouvelle procédure collective.
Par conséquent, pour solliciter la résiliation du bail, le bailleur doit :
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Soit s’appuyer sur une décision antérieure ayant acquis autorité de chose jugée avant l’ouverture de la liquidation judiciaire (article L. 622-27 du Code de commerce) ;
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Soit, à défaut, respecter un nouveau délai de trois mois après le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire (article L. 641-12, 3° du Code de commerce).
La cour d’appel, en se plaçant dans la logique de la première procédure collective (redressement judiciaire), a commis une erreur de droit. Le fait que la requête ait été déposée dans le délai postérieur à l’ouverture du redressement ne permettait pas de faire l’économie du nouveau délai ouvert par la liquidation.
4. Portée pratique de l’arrêt
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la ligne de jurisprudence antérieure (notamment Com., 18 janv. 2023, n° 21-15.576), apporte plusieurs précisions importantes pour les bailleurs et leurs conseils :
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Le délai de trois mois n’est pas un délai unique, mais se renouvelle en cas d’ouverture d’une nouvelle procédure collective.
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Pour apprécier l’expiration du délai de trois mois, le juge-commissaire doit se placer à la date de dépôt de la requête et non à celle de sa décision (CA Paris, ch. 5-8, 22 février 2024, n° 23/12488).
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Une résiliation judiciaire du bail obtenue dans le cadre du redressement ne peut prospérer si elle n’a pas acquis force de chose jugée avant l’ouverture de la liquidation judiciaire.
En pratique, cet arrêt invite les bailleurs à la plus grande vigilance procédurale. L’ouverture d’une liquidation judiciaire, même consécutive à un plan antérieur, relance les compteurs, et toute diligence entreprise sur la base du redressement devient juridiquement inopérante.
5. Conclusion
Dans le contexte mouvant des procédures collectives, les droits du bailleur commercial doivent s’exercer dans un cadre strictement balisé. L’arrêt du 12 juin 2025 rappelle qu’une liquidation judiciaire consécutive à la résolution du plan n’est pas une simple prolongation du redressement : c’est une procédure autonome, avec ses propres délais et conditions.
Pour préserver ses droits, le bailleur devra donc reprendre ses démarches à zéro, ou s’assurer que sa demande de résiliation ait été définitivement tranchée avant le jugement d’ouverture de la liquidation.
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