CA Paris, pôle 1, ch. 3, 24 juill. 2025, n° 24/16267 – art. L. 145-41 du Code de commerce
La clause résolutoire, si elle constitue une garantie essentielle pour le bailleur en matière de bail commercial, ne saurait être mise en œuvre de manière déloyale. Dans un arrêt du 24 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris vient en effet préciser qu’un commandement de payer délivré dans le respect apparent des conditions légales peut néanmoins être privé d’effet lorsqu’il procède d’une démarche de mauvaise foi du bailleur.
1. Le rappel des faits : du renouvellement du bail au commandement litigieux
En 2001, un bailleur consent le renouvellement d’un bail commercial moyennant un loyer annuel de 60 000 francs, soit 9 146,94 €.
À l’expiration du bail, en 2018, le locataire sollicite un nouveau renouvellement. Faute d’accord sur le prix, le juge des loyers commerciaux est saisi et, par jugement du 22 septembre 2023, fixe le loyer renouvelé à 30 168,17 € par an, à compter du 1er juillet 2018.
Peu après cette décision, le 13 novembre 2023, le bailleur délivre un commandement aux fins de saisie-vente, suivi, le 30 novembre 2023, d’un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Le preneur conteste l’acquisition de la clause résolutoire, estimant que ces actes ont été délivrés de mauvaise foi, dans le seul but de le contraindre à quitter les lieux après un déplafonnement brutal du loyer.
2. Le principe : la clause résolutoire, un mécanisme encadré par la bonne foi
L’article L. 145-41 du Code de commerce encadre la mise en œuvre de la clause résolutoire en cas d’inexécution par le locataire de ses obligations.
La résiliation ne peut intervenir qu’un mois après un commandement demeuré infructueux, et à condition que ce commandement énonce de manière précise les manquements reprochés.
Toutefois, le texte n’exonère pas le bailleur de son obligation d’exercer ses droits de bonne foi, principe général consacré à l’article 1104 du Code civil.
La jurisprudence admet désormais qu’un commandement délivré dans des conditions déloyales puisse être privé d’effet, même s’il répond formellement aux exigences de l’article L. 145-41.
3. L’arrêt commenté : un commandement conforme, mais entaché de mauvaise foi
La Cour d’appel de Paris retient que la contestation de la mauvaise foi du bailleur est sérieuse, justifiant ainsi qu’il ne soit pas statué en référé sur la résiliation du bail.
Deux éléments déterminent cette appréciation :
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Le timing de la délivrance du commandement.
Le bailleur a agi à peine deux mois après le jugement fixant le loyer renouvelé, réclamant un arriéré de 53 959,94 €, principalement constitué de rappels de loyers rétroactifs.
Cette célérité, alors même que le montant du loyer venait tout juste d’être fixé, témoigne d’une volonté de mettre le preneur en difficulté, sans lui laisser le temps raisonnable d’ajuster sa situation. -
Le caractère confus et imprécis du décompte annexé.
La Cour relève que le décompte, rédigé en caractères minuscules, est à la fois illisible et inintelligible. Il ne distingue pas clairement les loyers échus pour chaque période et ne permet pas au locataire d’identifier la dette réelle.
Cette opacité renforce la présomption de mauvaise foi, le bailleur paraissant avoir sciemment entretenu la confusion sur le montant exigé.
La Cour ajoute que la présence d’un impayé au titre du troisième trimestre 2023 ne suffit pas à écarter le grief de mauvaise foi, tant le comportement global du bailleur apparaît contraire aux exigences de loyauté contractuelle.
4. La portée de la décision : la bonne foi comme limite à la rigueur de la clause résolutoire
L’enseignement de cet arrêt est double.
D’une part, il confirme que la bonne foi irrigue l’ensemble du droit des baux commerciaux, y compris dans les mécanismes aussi stricts que la clause résolutoire.
L’automaticité attachée à cette clause ne saurait être invoquée pour sanctionner un locataire de manière abusive ou dans des circonstances manifestement inéquitables.
D’autre part, il souligne le rôle essentiel du juge des référés, compétent pour apprécier le caractère sérieux du moyen tiré de la mauvaise foi, et suspendre ainsi les effets de la clause résolutoire jusqu’à ce qu’un juge du fond statue.
En d’autres termes, le respect formel des conditions de l’article L. 145-41 ne suffit plus : la loyauté du bailleur devient un critère matériel de validité du commandement.
5. Enseignements pratiques pour les praticiens
Pour les bailleurs, cette décision invite à la prudence :
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le commandement de payer doit être clairement motivé, chiffré et lisible ;
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il ne doit pas être utilisé comme instrument de pression sur le preneur, notamment après un déplafonnement de loyer ou une fixation judiciaire ;
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enfin, la bonne foi devra pouvoir être démontrée en cas de contestation, notamment par la communication préalable de décomptes transparents et de rappels amiables.
Pour les preneurs, l’arrêt confirme qu’il est possible de contester efficacement la mise en œuvre d’une clause résolutoire, même lorsque les conditions légales sont respectées, dès lors qu’il existe des indices de déloyauté manifeste.
Le recours à la mauvaise foi du bailleur peut ainsi constituer une arme procédurale utile pour neutraliser temporairement la résiliation.
Conclusion
En privant d’effet un commandement délivré dans le respect apparent des formes légales, la Cour d’appel de Paris réaffirme avec force que le droit à résiliation du bailleur ne peut s’exercer qu’avec loyauté.
La clause résolutoire, loin d’être une mécanique automatique, reste subordonnée à une exigence de bonne foi qui irrigue tout le droit des contrats.
Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large tendant à rééquilibrer les rapports bailleur-preneur dans un contexte économique où la mise en œuvre brutale de la clause résolutoire peut emporter des conséquences irréversibles pour le locataire commerçant.