Une interprétation élargie qui interroge la sécurité juridique des ventes d’immeubles comportant des locaux commerciaux.
La Cour de cassation a, par deux arrêts du 19 juin 2025 (n° 23-17.604 et n° 23-19.292), confirmé une tendance jurisprudentielle lourde : l’exception au droit de préférence du locataire commercial issue de l’article L. 145-46-1 du code de commerce s’applique même lorsque la vente ne porte que pour partie sur le local loué, dès lors que celui-ci est intégré dans un ensemble plus vaste. Une lecture extensive de la notion de « cession globale d’un immeuble » qui interpelle.
Un droit de préemption d’origine légale, mais d’interprétation jurisprudentielle
L’article L. 145-46-1 du code de commerce, issu de la loi Pinel du 18 juin 2014, confère au locataire d’un local commercial ou artisanal un droit de préférence en cas de vente du local. Il s’agit d’un texte d’ordre public. Toutefois, plusieurs exceptions sont prévues par son dernier alinéa, dont celle, centrale ici, de la « cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ».
Longtemps, cette notion a été comprise dans son acception littérale : la vente d’un immeuble entier, formant un bâtiment indivisible. Mais la Cour de cassation, par un premier arrêt de 2018 (n° 17-16.113), puis par les arrêts du 19 juin 2025, a validé des lectures beaucoup plus larges de cette notion.
Ce qu’enseigne l’arrêt du 19 juin 2025
Dans la première affaire (n° 23-17.604), la cession portait sur un local commercial loué à usage de bureaux, ainsi qu’un terrain de stationnement attenant, non loué. Dans la seconde (n° 23-19.292), il s’agissait d’un local loué, accompagné de deux boxes, d’une cave et d’un local vide à usage de bureaux.
Dans les deux cas, la Haute juridiction considère que les ventes ne donnaient pas lieu à l’exercice du droit de préemption par les locataires, car elles portaient sur des biens dépassant l’assiette du local loué. Selon elle, dès lors que « les locaux loués ne constituaient qu’une partie des biens vendus », il s’agissait bien d’une « cession globale d’un immeuble ».
Un glissement conceptuel dangereux
Initialement conçue pour éviter le morcellement de cessions d’immeubles complexes (galeries commerciales, ensembles tertiaires), l’exception de « cession globale d’un immeuble » est désormais admise… même si le bien vendu ne comprend qu’un local principal loué, complété d’un ou deux boxes ou d’une cave.
Autrement dit, l’assiette de la vente suffit à priver le locataire de son droit de préemption, dès lors qu’elle est plus large que celle du bail. La cession d’un local commercial et d’un box dans le même immeuble devient une « cession globale ». Une telle extension suscite plusieurs inquiétudes.
Risques juridiques : vers une insécurité renforcée
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Absence de critère matériel clair : aucune définition légale ne précise ce qu’est un « immeuble » au sens de l’article L. 145-46-1. La jurisprudence assimile parfois ce terme à un « ensemble immobilier », notion tout aussi indéterminée.
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Facilité de contournement du droit de préemption : il suffirait d’adjoindre un local accessoire à la vente (même vide, ou sans lien avec l’activité) pour neutraliser le droit du locataire.
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Responsabilité du notaire : c’est souvent à ce dernier qu’il revient d’apprécier si la purge du droit de préférence s’impose ou non. Une erreur dans l’interprétation de la cession globale peut entraîner la nullité de la vente (Cass. 3e civ., 14 sept. 2023, n° 22-15.427).
Quelles marges pour les praticiens ?
Plusieurs solutions existent pour limiter les effets de cette jurisprudence :
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La ventilation du prix : comme en bail d’habitation, on pourrait admettre que le locataire préempte sur la partie correspondant au local loué, si le prix est déterminable.
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L’offre sur le tout : certains auteurs proposent de permettre au locataire de préempter l’ensemble de l’immeuble vendu, si celui-ci le souhaite.
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Une réforme législative : le flou du texte actuel appelle une clarification. Le législateur pourrait utilement revenir à une définition stricte de la cession globale, en excluant les ventes hybrides ou minoritaires.
Ce qu’il faut retenir
L’arrêt du 19 juin 2025 consacre une interprétation extensive, et donc potentiellement risquée, des exceptions au droit de préemption du locataire commercial. Elle légitime l’exclusion de ce droit dès lors que la vente dépasse, même marginalement, l’assiette du bail. Une telle lecture contredit le but même de la loi Pinel : renforcer la stabilité du commerce de proximité.
La prudence s’impose aux bailleurs, locataires et notaires lors de la structuration de l’opération. Et la vigilance du juge reste indispensable pour éviter les effets d’aubaine ou les fraudes déguisées.
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