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Cession du fonds de commerce : la clause imposant un acte authentique est-elle valable ?

La Cour de cassation a récemment confirmé, dans un arrêt du 13 mars 2025 (n° 23-23.372), la validité d’une clause du bail commercial imposant que toute cession du fonds de commerce – et donc du droit au bail – soit constatée par acte authentique, en présence du bailleur. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante, mais offre l’occasion de faire le point sur les exigences posées par le droit des baux commerciaux en matière de cession, ainsi que sur les risques encourus en cas de non-respect des stipulations contractuelles.


La liberté contractuelle encadrée : clauses restrictives vs clauses prohibitives

En matière de bail commercial, le législateur encadre strictement les clauses limitant la liberté du preneur de céder son droit au bail dans le cadre de la vente de son fonds. En vertu de l’article L. 145-16 du Code de commerce, une clause qui interdirait purement et simplement une telle cession est réputée non écrite. Pour autant, le contrat de bail peut prévoir certaines modalités particulières encadrant cette cession : autorisation préalable du bailleur, formalités spécifiques, ou exigence d’un acte authentique.

C’est précisément cette dernière hypothèse qui était en cause dans l’affaire jugée le 13 mars 2025 : une société locataire avait cédé son fonds par acte sous seing privé, sans intervention du bailleur, alors que le bail exigeait un acte notarié auquel celui-ci devait être appelé. Le bailleur a alors fait valoir l’inopposabilité de la cession, ce qui a conduit à l’irrecevabilité de la société cessionnaire dans l’instance en cours.


La clause imposant un acte authentique : une restriction légitime

Contrairement aux clauses prohibitives, les clauses simplement restrictives, qui ne suppriment pas toute faculté de cession mais en encadrent les conditions, sont parfaitement valables. En l’espèce, la clause litigieuse exigeait que toute cession – y compris dans le cadre d’une vente du fonds – soit établie par acte authentique, avec appel du bailleur à l’acte et respect de garanties spécifiques (solidarité des parties, remise d’une copie exécutoire, etc.).

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait jugé que cette clause, ne constituant pas une interdiction absolue de céder, était opposable aux parties. La Cour de cassation valide cette approche : l’exigence d’un acte notarié ne contrevient pas aux dispositions protectrices du Code de commerce, dès lors qu’elle n’interdit pas la cession mais en précise les modalités.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante, utilement rappelée par l’arrêt, selon laquelle la validité des clauses restrictives est admise tant qu’elles ne privent pas le preneur de la possibilité de céder son bail avec son fonds (Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02.035).


L’inopposabilité de la cession : quelles conséquences concrètes ?

Le non-respect de la clause imposant un acte authentique rend la cession inopposable au bailleur. Dans les faits, cela signifie que le cessionnaire ne peut se prévaloir de la qualité de locataire à son égard. Le bailleur peut ainsi ignorer la cession, poursuivre le locataire initial pour le respect des obligations contractuelles, ou encore agir contre l’occupant en l’assimilant à un sous-locataire sans droit ni titre.

Dans l’affaire commentée, bien que le bailleur ait encaissé des loyers réglés par le cessionnaire, la Cour a considéré que cela ne valait pas renonciation tacite à la clause contractuelle. Pour être valable, une renonciation doit être claire, non équivoque, et expresse, conformément à la jurisprudence (Cass. 3e civ., 7 sept. 2022, n° 21-17.750). L’encaissement des loyers n’a donc pas suffi à prouver une acceptation de la cession irrégulière.


Un rappel utile pour les praticiens du bail commercial

Cet arrêt du 13 mars 2025 offre une illustration rigoureuse des conséquences juridiques qui peuvent découler d’un manquement aux conditions de cession prévues par un bail commercial. Pour les praticiens, et notamment pour tout avocat en bail commercial, il souligne l’importance :

  • de rédiger avec précision les clauses encadrant la cession,

  • de respecter strictement les formalités prévues,

  • et de ne pas présumer une acceptation du bailleur en cas de comportement ambigu.

La cession du fonds de commerce, bien que fréquente en pratique, reste une opération juridique complexe, dans laquelle les intérêts du cédant, du cessionnaire et du bailleur doivent être articulés avec rigueur.


En conclusion

L’exigence d’un acte authentique dans le cadre d’une cession de fonds de commerce peut parfaitement être stipulée au sein d’un bail commercial. Cette clause, si elle est correctement formulée, ne constitue pas une interdiction prohibée par l’article L. 145-16 du Code de commerce, mais une restriction licite. Lorsqu’elle n’est pas respectée, la cession est inopposable au bailleur, avec toutes les conséquences que cela implique en termes d’action judiciaire et d’occupation des lieux.

Pour éviter toute insécurité juridique, il est vivement recommandé de se faire accompagner par un avocat expérimenté en bail commercial, à chaque étape de la rédaction ou de l’exécution d’un contrat de cession.

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