Résiliation automatique, procédures collectives et force majeure : analyse approfondie
Introduction
Dans le contentieux du bail commercial, la clause résolutoire permet au bailleur de provoquer la résiliation du bail en cas d’inexécution par le locataire de ses obligations, notamment le paiement du loyer. Toutefois, le juge peut, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, suspendre les effets de cette clause en accordant au preneur des délais pour apurer sa dette locative.
La jurisprudence est cependant constante : en cas de non-respect de l’échéancier, la résiliation du bail est automatique, sans que le juge puisse accorder de nouveaux délais. L’exécution doit être rigoureuse, les exceptions rares.
Cet article propose une étude complète du régime applicable, illustrée par une sélection de décisions de principe.
I. L’acquisition irrévocable de la clause résolutoire en cas d’inexécution
A. Résiliation automatique dès le non-respect d’une échéance
Même en présence d’une ordonnance judiciaire suspendant les effets de la clause résolutoire, tout manquement à l’échéancier entraîne de plein droit la résiliation du bail, sans qu’un nouveau délai puisse être accordé.
📌 Cass. 3e civ., 23 juin 2016, n° 15-15.316
La Cour de cassation rappelle que l’inexécution d’un seul terme du plan de paiement rend la clause résolutoire définitivement acquise. Aucun nouveau délai ne peut être sollicité.
📌 Cass. 3e civ., 14 mai 2008, n° 07-17.121
La Haute juridiction affirme que le juge n’a pas à prévoir expressément la sanction de résiliation dans l’ordonnance : la résiliation est automatique dès le non-respect de l’échéancier.
📌 Cass. 3e civ., 25 juin 1974, n° 73-12.652
Un versement intervenu deux jours après l’échéance prévue (un 17 septembre au lieu du 15) suffit à constater la résiliation. L’expiration du délai un dimanche ne justifie pas de prorogation, et l’empêchement personnel du dirigeant n’est pas un cas de force majeure.
II. Le paiement tardif ou partiel : inopérant, sauf force majeure
Même un paiement intégral mais tardif ne purge pas l’effet résolutoire.
📌 Cass. 3e civ., 26 oct. 1977, n° 76-14.680
La Cour considère que le paiement intégral de la dette postérieurement au terme fixé par l’ordonnance de référé ne peut empêcher l’acquisition de la clause résolutoire.
📌 Cass. com., 6 janv. 1966, n° 64-14.015
Le locataire qui n’exécute pas dans les délais les échéances fixées par ordonnance de référé voit son bail résilié automatiquement.
III. Exception : la force majeure
Le seul tempérament reconnu est la force majeure, strictement interprétée.
📌 Cass. 3e civ., 17 févr. 2010, n° 08-20.943
Un incident informatique bancaire ayant empêché le dernier virement du plan d’apurement est reconnu comme un cas de force majeure dès lors qu’il était imprévisible, irrésistible et extérieur. La résiliation n’a donc pas été prononcée.
IV. Loyers courants et échéancier : articulation jurisprudentielle
📌 CA Paris, ch. 14, sect. A, 23 janv. 2008, n° 07/15145
Le preneur avait respecté les échéances de l’arriéré mais pas les loyers courants. La cour juge que la résiliation ne peut être prononcée si le non-paiement des loyers courants n’était pas expressément sanctionné dans l’ordonnance.
📌 Cass. 3e civ., 18 mars 2009, n° 08-10.256
À l’inverse, si la décision prévoit expressément que le non-paiement des loyers courants entraîne l’acquisition de la clause résolutoire, la résiliation est acquise même si l’arriéré a été payé.
V. Date de la résiliation : rétroactivité au commandement
📌 Cass. 3e civ., 11 mai 1995, n° 93-11.410
La date de résiliation du bail est fixée à l’expiration du délai mentionné dans le commandement initial, et non à la date de la décision constatant l’acquisition de la clause.
VI. Procédures collectives : articulation avec la clause résolutoire
A. Résiliation constatée avant l’ouverture : effet maintenu
📌 Cass. 3e civ., 10 juill. 2007, n° 06-13.639
La résiliation acquise avant l’ouverture de la procédure collective reste opposable au locataire : il ne peut se prévaloir du gel des poursuites (C. com., art. L. 622-21).
B. Résiliation non définitive : poursuite suspendue
📌 Cass. com., 28 oct. 2008, n° 07-17.662
Si l’ordonnance constatant la résiliation est frappée d’appel au jour de l’ouverture de la procédure, l’action ne peut être poursuivie, même si l’ordonnance est exécutoire à titre provisoire.
📌 Cass. 3e civ., 9 janv. 2008, n° 06-21.499
L’acquisition de la clause ne peut être constatée postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, si elle n’avait pas encore été judiciairement constatée.
VII. Conciliation et délais judiciaires : rôle du juge
📌 CA Paris, pôle 1, ch. 8, 15 juin 2018, n° 17/08050
Le juge des référés, saisi d’une demande d’expulsion pour acquisition de la clause résolutoire, doit vérifier si les délais accordés dans le cadre d’une conciliation produisent toujours effet. Il doit également examiner si la créance locative est sérieusement contestée avant de statuer.
Conclusion : rigueur, anticipation et stratégie
Le régime de la clause résolutoire dans le bail commercial repose sur un principe de rigueur absolue. Le locataire qui bénéficie d’une suspension des effets de la clause doit s’y conformer strictement : tout manquement rend le bail irrémédiablement caduc.
Pour le bailleur, la vigilance est de mise dans la rédaction du commandement, le suivi du calendrier judiciaire, et la gestion des procédures collectives.
L’assistance d’un avocat spécialisé en bail commercial est indispensable dès la délivrance du commandement, pour sécuriser les échéances, encadrer l’ordonnance de référé, et optimiser la stratégie judiciaire ou transactionnelle.
Negotium Avocats accompagne bailleurs, exploitants, gestionnaires de portefeuilles et mandataires dans tous les contentieux relatifs à la clause résolutoire, aux échéanciers judiciaires et aux procédures collectives liées aux baux commerciaux.
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