Par Maître Benoît Favot, avocat en droit commercial – Negotium Avocats
La fiscalité applicable aux indemnités de résiliation anticipée d’un bail commercial soulève régulièrement des incertitudes, tant pour les bailleurs que pour les preneurs. La récente réponse ministérielle n° 15232 publiée au Journal officiel de l’Assemblée nationale le 4 juin 2024 (JOAN, p. 4490) vient éclairer une question essentielle : ces indemnités sont-elles systématiquement soumises à la TVA ? La réponse est clairement négative. L’administration fiscale adopte une position nuancée, fondée sur une analyse contextuelle et juridique des situations, en droite ligne de la jurisprudence européenne et nationale.
Le rappel du cadre juridique : TVA et opérations imposables
L’article 256 du Code général des impôts (CGI) prévoit que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA. L’article 266 du même code précise que la base d’imposition comprend toutes les sommes reçues en contrepartie de l’opération.
Cependant, la TVA ne frappe que les contreparties directes d’une opération individualisable. Autrement dit, la nature du versement (indemnité contractuelle, clause pénale, remboursement de frais, etc.) ne suffit pas à déterminer le régime fiscal applicable. C’est le fondement économique et juridique de la somme qui commande son éventuelle soumission à la TVA.
Une réponse ministérielle attendue : la primauté des faits
Dans sa réponse du 4 juin 2024, le ministre de l’Économie refuse toute automaticité : le simple fait qu’une indemnité soit versée en cas de résiliation anticipée ne permet pas de conclure qu’elle serait, par principe, assujettie à la TVA. Il convient, selon lui, de procéder à une analyse au cas par cas, en tenant compte :
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des stipulations contractuelles,
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de l’existence d’une contrepartie réelle et identifiable,
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et de la finalité économique du versement.
Cette position est conforme aux exigences posées par la directive TVA (directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006), qui impose l’existence d’un lien direct entre le service rendu et la somme versée, dans le cadre d’un rapport juridique structuré par des prestations réciproques.
L’apport de la jurisprudence Catleya
La doctrine administrative s’appuie notamment sur l’arrêt Catleya (CE, 27 févr. 2015, n° 368661), souvent invoqué dans la matière. En l’espèce, une indemnité de résiliation avait été versée par le locataire au bailleur en contrepartie de la renonciation du premier à occuper les lieux, ce qui avait permis au bailleur de recommercialiser les locaux à un loyer plus élevé.
Le Conseil d’État avait jugé que la somme perçue constituait la contrepartie directe d’un avantage économique individualisable, ce qui justifiait son assujettissement à la TVA.
Cette solution a été intégrée dans la doctrine administrative (BOFiP, BOI-TVA-BASE-10-10-50, § 260) qui propose une grille de lecture précieuse : seules les indemnités correspondant à une véritable prestation économique identifiable et consentie sont taxables.
Indemnité versée par le bailleur au locataire : même régime
La réponse ministérielle clarifie également que les indemnités versées par le bailleur au preneur ne sont pas automatiquement soumises à la TVA non plus. Là encore, tout dépend du contexte : s’agit-il d’acheter la libération anticipée du bien pour un projet spécifique, ou bien d’un simple dédommagement sans prestation identifiable ? Seule l’analyse de la relation contractuelle permet de trancher.
Une vigilance accrue dans la rédaction contractuelle
Cette réponse ministérielle appelle à une vigilance particulière dans la rédaction des clauses de résiliation anticipée. Si les parties souhaitent anticiper les conséquences fiscales d’une telle clause, elles doivent préciser le fondement de l’indemnité : s’agit-il :
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d’un dédommagement forfaitaire en cas de rupture unilatérale,
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de la contrepartie d’un engagement spécifique,
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ou d’une indemnité visant à compenser une perte de chance économique ?
Cette distinction peut être déterminante pour l’assujettissement à la TVA… et donc pour le coût global de l’opération.
En pratique : quelle stratégie pour les bailleurs et locataires ?
Pour sécuriser leur position, les bailleurs et les locataires doivent :
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Évaluer le contexte juridique et économique de la résiliation : une négociation librement consentie avec un objectif économique identifiable est plus susceptible de générer une opération taxable.
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Préciser contractuellement le fondement et la nature de l’indemnité.
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Vérifier la cohérence de la rédaction avec les objectifs fiscaux recherchés.
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Consulter leur avocat ou leur conseil fiscal pour anticiper les risques.
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