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Clauses d’indexation en bail commercial : vers un encadrement renforcé des clauses asymétriques

Clauses d’indexation en bail commercial : vers un encadrement renforcé des clauses asymétriques

Introduction

La clause d’indexation, ou clause d’échelle mobile, est une disposition centrale du bail commercial, permettant d’adapter le montant du loyer à l’évolution d’un indice de référence, le plus souvent publié par l’INSEE. Outil de préservation de la valeur locative dans le temps, elle est fréquemment insérée dans les baux à long terme. Cependant, sa validité est strictement encadrée. Une jurisprudence constante, particulièrement nourrie depuis 2016, est venue sanctionner les clauses d’indexation asymétriques, notamment celles qui excluent la variation à la baisse du loyer. Le droit positif impose en effet une réciprocité de la variation, à la hausse comme à la baisse, faute de quoi la clause encourt la sanction du « réputé non écrit ». Cet article propose une analyse approfondie, destinée à un public de juristes et professionnels de l’immobilier, sur les développements jurisprudentiels et doctrinaux en matière de clauses d’indexation irrégulières dans les baux commerciaux.

1. Le principe d’irrégularité des clauses limitant l’indexation à la hausse

1.1. Fondement jurisprudentiel : la réciprocité comme exigence essentielle

La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : une clause d’indexation doit permettre une variation du loyer dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse. Cette exigence a été consacrée notamment par l’arrêt du 14 janvier 2016 (Cass. 3e civ., n° 14-24.681), dans lequel la Haute juridiction affirme qu’une clause excluant la variation à la baisse est contraire à la nature même de l’échelle mobile. Les effets pratiques sont considérables : nombre de baux prévoyant des clauses unilatérales ont été invalidés en tout ou partie, entraînant la perte du mécanisme d’indexation et des conséquences financières importantes pour les bailleurs.

1.2. Ancrage dans le Code de commerce : l’article L. 145-39

L’article L. 145-39 C. com., relatif à la révision judiciaire du loyer indexé, vise expressément la possibilité d’une révision lorsque la variation de loyer atteint « plus d’un quart », qu’il s’agisse d’une hausse ou d’une baisse. Une clause ne permettant que la hausse fausse donc la logique de ce mécanisme. La Cour de cassation l’a expressément reconnu dans son arrêt du 30 juin 2021 (n° 19-23.038). Cette lecture s’inscrit dans une perspective de protection économique de la partie faible du contrat, souvent le preneur. Elle justifie l’intervention du juge pour restaurer l’équilibre contractuel.

1.3. Évolution jurisprudentielle : de la nullité au réputé non écrit

Avant la loi Pinel, la nullité était la sanction traditionnelle des clauses irrégulières. Depuis la réforme introduite par l’article L. 145-15 du Code de commerce (rédaction issue de la loi du 18 juin 2014), les clauses contraires aux articles L. 145-37 à L. 145-41 sont simplement réputées non écrites. Cette solution est plus favorable au preneur car l’action correspondante est imprescriptible. La jurisprudence l’a confirmé dans plusieurs arrêts, dont ceux du 12 janvier 2022 (n° 21-11.169) et du 23 novembre 2022 (n° 21-18.921). L’irrégularité d’une clause d’indexation asymétrique affecte la clarté du bail et son exécution loyale.

2. Autres types de clauses d’indexation irrégulières

2.1. Clauses prévoyant une hausse minimale annuelle

Les clauses qui imposent une majoration minimale du loyer, indépendamment de l’évolution de l’indice de référence, sont assimilées à une forme d’indexation forfaitaire, déconnectée de l’évolution réelle des prix. Elles sont donc contraires à l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier. Cette irrégularité entraîne l’éviction de la clause dans son ensemble, comme l’a jugé la CA Paris dans un arrêt du 20 janvier 2016 (n° 13/21626).

2.2. Clauses avec loyer plancher

Les stipulations fixant un loyer plancher sont également interdites. En interdisant toute baisse, elles neutralisent le jeu de l’indice, ce qui est contraire à l’article L. 112-1 CMF. La Cour de cassation a jugé que seule la stipulation irrégulière devait être réputée non écrite (Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n° 20-12.345).

2.3. Clauses neutralisant l’indexation selon la valeur locative

Certaines clauses conditionnent l’application de l’indexation à la preuve d’une variation significative (par exemple > 5 %) de la valeur locative, ce qui revient à déconnecter l’évolution du loyer de celle de l’indice de référence. Elles ont été jugées irrégulières (CA Paris, 15 mars 2017, n° 15/00941).

3. Portée de la sanction : clause partiellement ou totalement écartée ?

3.1. Dissociabilité et clause indivisible

Lorsque la stipulation irrégulière est dissociable du reste de la clause, seule cette dernière est réputée non écrite. C’est le cas des clauses prévoyant un loyer plancher (Cass. 3e civ., 11 mars 2021, précité). En revanche, si les parties ont conféré à l’ensemble de la clause un caractère essentiel et indivisible (par exemple : stipulation selon laquelle la clause est une condition déterminante du bail), alors l’ensemble est réputé non écrit (CA Paris, 26 oct. 2022, n° 20/09598).

3.2. Appréciation souveraine par le juge du fond

La Cour de cassation a rappelé que le caractère essentiel d’une clause relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 3e civ., 28 sept. 2022, n° 21-25.507). Il est donc essentiel, dans la pratique contractuelle, de bien calibrer les mentions figurant dans le bail sur la portée de la clause d’indexation.

Conclusion : conseils pratiques pour les praticiens

Il appartient à l’avocat en bail commercial de vérifier systématiquement la conformité des clauses d’indexation :
  • La clause doit permettre une variation à la hausse et à la baisse.
  • Toute stipulation de hausse minimale ou de loyer plancher doit être proscrite.
  • Le mécanisme d’indexation ne peut être conditionné à des événements étrangers à l’indice choisi.
  • La sanction applicable est le « réputé non écrit », imprescriptible, avec des effets éventuellement rétroactifs.
  • En présence d’une clause potentiellement indivisible, évaluer l’intérêt de renégocier ou de modifier le bail.
Ces précautions permettent d’assurer la sécurité juridique du bail commercial, de préserver les droits du preneur, et d’anticiper toute contestation judiciaire. En cas de doute, un audit préventif des clauses du bail par un avocat compétent en droit des baux commerciaux est fortement recommandé.
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