À propos de CA Paris, pôle 5, ch. 3, 18 sept. 2025, n° 22/14246
Le mécanisme du refus de renouvellement sans indemnité d’éviction, prévu par l’article L. 145-17 du Code de commerce, demeure l’une des prérogatives les plus fortes du bailleur commercial. Encore faut-il que ce dernier établisse l’existence d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire. La notion, non définie par les textes, relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et s’apprécie tant au regard des manquements contractuels du preneur qu’au regard de son comportement général dans l’exécution du bail.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 18 septembre 2025 en fournit une illustration particulièrement significative.
1. Les faits : un défaut de paiement délibéré pour obtenir une autorisation de cession
Le litige portait sur un bail commercial au sein duquel la locataire, souhaitant céder son droit au bail, se heurtait à l’absence de réponse de la bailleresse sur la demande d’agrément. Dans ce contexte, la locataire avait volontairement cessé de régler plusieurs mois de loyers en 2021, afin d’exercer une pression financière sur la bailleresse pour obtenir son accord à la cession.
Cette stratégie ressortait explicitement d’un courriel adressé par le conseil de la locataire à la bailleresse :
« Je suis sans nouvelle de votre part dans ce dossier. Le locataire m’a indiqué bloquer le règlement des prochains loyers dans ce contexte : la cession devient en effet urgente ».
Si la dette locative a finalement été régularisée ultérieurement, la cour a jugé que cette circonstance était indifférente.
2. Le principe : la caractérisation d’un motif grave et légitime malgré la régularisation ultérieure
L’article L. 145-17 du Code de commerce permet au bailleur de refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité lorsque le locataire a commis un manquement suffisamment grave ou lorsqu’il adopte un comportement incompatible avec la bonne exécution du bail.
En jurisprudence, le défaut de paiement des loyers peut constituer un motif grave et légitime, même en l’absence de clause résolutoire mise en œuvre, et même lorsque les impayés sont ultérieurement apurés, dès lors que la gravité du manquement demeure appréciable à la date du refus de renouvellement.
En l’espèce, la cour relève que les impayés n’étaient pas de simples difficultés financières ponctuelles, mais un moyen conscient de pression sur la bailleresse, dans le seul but d’obtenir son consentement à une cession du droit au bail. Le comportement du preneur, volontairement déloyal, était de nature à caractériser un motif grave et légitime.
3. La solution : un refus de renouvellement sans indemnité
La cour d’appel confirme que le défaut de paiement des loyers pendant plusieurs mois, utilisé délibérément par le preneur comme moyen de contrainte, constitue un motif grave et légitime justifiant le refus de renouvellement sans indemnité d’éviction.
La régularisation a posteriori est jugée sans incidence : la faute, de par sa finalité (pression sur le bailleur), conserve son caractère de gravité.
4. Intérêt de la décision
Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante selon laquelle :
– la régularisation des impayés n’efface pas la gravité initiale du manquement ;
– un manquement contractuel délibéré, commis dans une logique de rapport de force, est susceptible de justifier un refus de renouvellement sans indemnité ;
– le comportement du preneur, au-delà des strictes obligations nées du bail, peut constituer un motif grave et légitime.
Elle rappelle ainsi que le bail commercial demeure un contrat d’exécution successive reposant sur la bonne foi des parties. Les stratégies de pression financière, même temporaires, sont susceptibles de sanctionner le locataire par la perte de son droit au renouvellement et, corrélativement, de son droit à l’indemnité d’éviction.