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Revue jurisprudentielle – Baux commerciaux : évolutions et précisions récentes

Le premier semestre 2024 a donné lieu à plusieurs décisions marquantes de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, confirmant certaines évolutions structurelles du droit des baux commerciaux, tout en consolidant des principes fondamentaux du droit des obligations. Voici une synthèse des principales décisions à retenir.


1. Convention d’occupation précaire : autonomie juridique consacrée

Cass. 3e civ., 11 janvier 2024, n° 22-16.974, publié au Bulletin

Dans cette décision de principe, la Cour affirme que la convention d’occupation précaire ne constitue pas un bail au sens des articles 1709 et suivants du Code civil. Elle n’est donc soumise ni au statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1), ni aux règles supplétives du droit commun.
En l’espèce, l’occupant, victime d’un dégât des eaux, invoquait un manquement à l’obligation de délivrance. La Cour rejette cette prétention : seule la convention régit les rapports contractuels.
L’autonomie juridique de la convention précaire est ainsi fermement réaffirmée.


2. Congé avec offre de renouvellement : attention aux modifications substantielles

Cass. 3e civ., 11 janvier 2024, n° 22-20.872, publié au Bulletin

Une offre de renouvellement contenue dans un congé ne peut être valable que si elle propose un bail identique au précédent, sauf en ce qui concerne le loyer. Toute autre modification – notamment la surface ou la désignation des lieux – est analysée comme un refus de renouvellement, ouvrant droit à indemnité d’éviction.
Les bailleurs devront donc veiller à ne pas glisser vers une modification structurelle du bail sous couvert de renouvellement.


3. Clause résolutoire : contrôle de bonne foi renforcé

Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n° 23-10.384

L’article L. 145-41 du Code de commerce, s’il encadre la clause résolutoire, ne fait pas obstacle à l’exigence générale de bonne foi (C. civ., art. 1104).
En l’espèce, le bailleur avait toléré pendant plusieurs années une activité non conforme à la destination. En appliquant ensuite la clause résolutoire pour ce motif, il a été jugé déloyal.
Cette décision consacre la bonne foi comme norme autonome de contrôle de la résolution.


4. Résiliation unilatérale du bail : articulation avec la clause résolutoire

Cass. 3e civ., 25 janvier 2024, n° 22-16.583

Même en présence d’une clause résolutoire, le preneur peut invoquer l’article 1226 du Code civil pour résilier un bail commercial par notification, en cas de faute grave du bailleur.
La Cour valide cette application du droit commun dans le champ du bail commercial, élargissant les possibilités de résolution unilatérale sans recours au juge, sous réserve d’une inexécution suffisamment grave.


5. Procédure collective : le temps judiciaire au secours du locataire

Cass. 3e civ., 12 juin 2024, n° 22-24.177, publié au Bulletin

Lorsque le bailleur sollicite la résiliation d’un bail pour loyers impayés postérieurs au jugement d’ouverture, le juge-commissaire doit vérifier la situation à la date de sa décision. Si la dette est régularisée in extremis, la résiliation est écartée.
La Cour introduit ainsi une forme de délai de grâce judiciaire non prévu par les textes, en faveur de l’entreprise en difficulté.


6. Loyer binaire : limitation du pouvoir du juge au renouvellement

Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-16.447, publié au Bulletin

Lorsqu’un bail prévoit un loyer composé d’une part fixe et d’une part variable, seule la part fixe peut être révisée judiciairement, à condition qu’un accord implicite soit démontré.
La clause de loyer variable demeure intangible, sauf volonté expresse contraire.
La Cour réaffirme ici la force obligatoire des conventions en matière de fixation du loyer renouvelé.


7. Restitution en fin de bail : fin de l’indemnisation automatique

Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°s 22-10.298, 22-21.272 et 22-24.502, publié au Bulletin

La Cour met fin à l’indemnisation de principe du bailleur en cas de restitution défectueuse des lieux. Désormais, le bailleur doit prouver l’existence d’un préjudice pour obtenir réparation.
Ce revirement aligne la jurisprudence sur les principes classiques de la responsabilité contractuelle.


8. Mise à disposition des locaux : la frontière entre sous-location et prestation de service

Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n°s 22-22.823 et 22-24.046, publié au Bulletin

Lorsque le locataire met à disposition des locaux avec du personnel, du matériel et des services, il ne s’agit pas d’une sous-location mais d’une prestation de services.
Dès lors, l’article L. 145-31 du Code de commerce ne s’applique pas et le bailleur ne peut prétendre à une augmentation de loyer fondée sur cette mise à disposition.
Une fois encore, c’est l’analyse fonctionnelle du contrat qui prévaut sur sa dénomination.


Conclusion

Ces décisions confirment une double tendance : un renforcement du rôle du contrat dans l’analyse des situations litigieuses, et une judiciarisation croissante des mécanismes de résolution et d’exécution du bail. Le droit des baux commerciaux poursuit sa mutation, à la croisée des droits spéciaux et du droit commun, dans une logique de précision contractuelle et de responsabilisation des parties.

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