01.86.95.46.58
8 Rue de Chantilly Paris 75009

Le droit de préférence du locataire commercial lors de la vente des locaux loués

Le droit de préférence du locataire commercial lors de la vente des locaux loués

  La vente d’un local commercial occupé nécessite une analyse juridique fine, notamment en raison de l’existence d’un droit de préférence reconnu au locataire par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. Ce droit, introduit par la loi Pinel du 18 juin 2014, vise à renforcer la stabilité du commerce de proximité. Il constitue une contrainte majeure pour les bailleurs et soulève des enjeux pratiques considérables pour tous les intervenants de l’immobilier commercial, à commencer par les avocats en baux commerciaux.

Un droit d’ordre public s’imposant à tous

Le droit de préférence du locataire commercial s’applique à toutes les ventes volontaires de locaux commerciaux depuis le 18 décembre 2014, indépendamment de la date du bail (© CA Paris, 16 janvier 2019, n° 16/14143). L’article L. 145-46-1 étant d’ordre public, toute clause du bail excluant son application est réputée non écrite (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14.605). Le déclenchement de ce droit dépend uniquement de la date de la vente envisagée, et non de celle du contrat de bail. Par conséquent, tout propriétaire envisageant de vendre son bien doit, au préalable, purger ce droit en notifiant au locataire une offre précise de vente.

Un champ d’application strictement délimité

Le droit de préférence s’applique uniquement aux ventes volontaires :
  • Sont incluses les ventes amiables, avec fixation du prix par le bailleur.
  • Sont exclus : donations, legs, apports en société, échanges, dation en paiement, cession de titres d’une société propriétaire du bien (CA Paris, 24 oct. 2018, n° 18/07660), ventes judiciaires ou sur adjudication (Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 17-16.113 ; Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174).
L’article ne s’applique qu’à la vente de « locaux à usage commercial ou artisanal ». Il faut donc se référer à la destination stipulée dans le bail, et non à l’usage effectif des lieux (Cass. 3e civ., 2 juill. 1969 ; 11 juin 1976 ; 29 avril 1997, n° 95-15.925). Il a été admis que ce droit pouvait s’appliquer à des locaux exploités comme résidences de tourisme (voir n° 39210), et à certains bureaux affectés à des activités commerciales (CA Aix-en-Provence, 20 nov. 2018, n° 17/04435 ; CA Paris, 1er déc. 2021, n° 20/00194). En revanche, sont exclus les locaux industriels (CA Orléans, 10 mars 2022, n° 20/01235 ; Cass. 3e civ., 29 juin 2023, n° 22-16.034).

Le bail commercial en cours, condition essentielle

Pour que le droit de préférence joue, le local vendu doit être l’objet d’un bail commercial en cours. Ne sont donc pas concernés :
  • Les baux dérogatoires (article L. 145-5 du Code de commerce),
  • Les conventions d’occupation précaire (article L. 145-5-1),
  • Les baux expirés après congé avec refus de renouvellement, même si le locataire reste dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction (CA Paris, 28 mars 2018, n° 16/13272).

Exceptions légales au droit de préférence

La loi prévoit plusieurs cas dans lesquels le droit de préférence ne s’applique pas (art. L. 145-46-1, al. 6) :
  • Cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial ;
  • Vente globale d’un immeuble comportant un local commercial ;
  • Cession entre membres de la famille du bailleur ;
  • Cession à un copropriétaire d’ensemble commercial ;
  • Préemption par une collectivité (DPU, ZAD) selon la loi 3DS (L. n° 2022-217 du 21 février 2022).

Précision jurisprudentielle : cession unique de locaux commerciaux distincts

La notion de « cession unique de locaux commerciaux distincts » a été précisée par la jurisprudence. Est admis qu’une vente réalisée en un seul acte, même avec deux immeubles situés dans des villes différentes (Amiens et Narbonne), entre dans cette exception (CA Amiens, 14 janv. 2021, n° 10/03229). Il a même été jugé que la cession pouvait être matérialisée par deux actes signés le même jour pour les besoins de la publicité foncière (Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n° 21-16.452).

Le droit de préférence conventionnel

Indépendamment du droit légal, certains baux stipulent un pacte de préférence conventionnel, régi depuis 2016 par l’article 1123 du Code civil. Ces clauses peuvent être plus favorables que la loi et s’appliquer à des hypothèses plus larges. La jurisprudence a rappelé que l’objet du pacte détermine sa portée. Si la clause vise la « vente des locaux loués », la vente de l’immeuble entier est soumise à l’obligation de préférence (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-12.893). En revanche, si la vente porte sur un ensemble indivisible, le locataire ne peut imposer sa division (Cass. 3e civ., 9 avril 2014, n° 13-13.949).

Renonciation et effets

Le locataire peut renoncer à exercer sa préférence, de manière expresse ou tacite. Mais cette renonciation doit être certaine et non équivoque (Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-20.297 ; 2 févr. 2022, n° 21-10.527). Il est donc recommandé, pour les avocats baux commerciaux, de prévoir une formalisation claire de cette renonciation.

Risques encourus en cas d’oubli ou de purge défectueuse

Le non-respect du droit de préférence peut entraîner l’annulation de la vente, à la demande du locataire, dans un délai de six mois à compter du jour où il a eu connaissance de la cession. Dans une affaire (CA Paris, 1er déc. 2021, n° 20/00194), une clause de renonciation insérée dans le bail a été jugée illicite, car le locataire était soumis au statut des baux commerciaux et exerçait une activité commerciale. Le notaire ayant, par prudence, purgé le droit de préférence, sa responsabilité n’a pas été retenue.

Conclusion : vigilance et anticipation

La question du droit de préférence en cas de vente des locaux loués est un contentieux émergent. L’accompagnement par un avocat en baux commerciaux est essentiel pour rédiger les actes, anticiper les risques, purger correctement les droits, et éviter l’annulation d’une vente ou la responsabilité des professionnels. Le cabinet Negotium Avocats accompagne propriétaires, investisseurs et exploitants dans la gestion des baux commerciaux et dans la sécurisation des ventes d’actifs immobiliers commerciaux. Notre expertise pointue en droit des baux commerciaux garantit un accompagnement fiable et conforme. Vous souhaitez céder ou acheter un local commercial occupé ? Nos avocats en baux commerciaux sont à votre disposition pour vous assister.
A lire également