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Bail commercial : le dépôt de garantie ne constitue pas, en soi, un facteur de diminution de la valeur locative

Bail commercial : le dépôt de garantie ne constitue pas, en soi, un facteur de diminution de la valeur locative

Cour de cassation, 3e civ., 7 mai 2025, n° 23-15.394, publié au Bulletin

Dans un arrêt du 7 mai 2025 publié au Bulletin, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte une précision bienvenue sur l’appréciation des charges imposées au preneur dans le cadre du renouvellement d’un bail commercial. Elle juge que le cumul d’un dépôt de garantie élevé et d’un paiement trimestriel d’avance du loyer ne constitue pas une obligation « exorbitante » du droit commun de nature à diminuer la valeur locative. Une décision importante pour les bailleurs comme pour les locataires lors des négociations du bail renouvelé.

Rappel du cadre juridique : obligations à la charge du preneur et valeur locative

L’article L. 145-33, 3° du Code de commerce prévoit que la valeur locative est déterminée en prenant notamment en compte les « obligations respectives des parties ». Le décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, en son article R. 145-8, précise que les obligations imposées au locataire, au-delà de celles résultant de la loi ou des usages, peuvent constituer un facteur de diminution de la valeur locative si elles ne sont pas assorties d’une contrepartie.

En matière de paiement anticipé, l’article L. 145-40 du Code de commerce prévoit une contrepartie légale : les loyers versés d’avance au-delà de deux termes produisent intérêts au bénéfice du locataire. Cette disposition vise à compenser le préjudice résultant de l’anticipation du paiement.

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mai 2025

Dans l’affaire soumise à la Cour, la société Nougat Chabert et Guillot, locataire de locaux à usage industriel et commercial, demande le renouvellement de son bail assorti d’un abattement du loyer. Elle invoque deux éléments à l’appui de sa demande :

  • un paiement trimestriel d’avance des loyers ;

  • un dépôt de garantie de six mois de loyer TTC, soit plus de neuf mois de loyer HT avancés.

Elle soutient que ces stipulations contractuelles excèdent les usages et doivent être considérées comme des charges excessives sans contrepartie, justifiant une réduction de la valeur locative dans le cadre du renouvellement.

La cour d’appel de Grenoble rejette cette argumentation. La société locataire se pourvoit en cassation.

Une solution fondée sur l’existence d’une contrepartie légale

La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la solution de la cour d’appel. Elle affirme que :

« Dès lors qu’elle a pour contrepartie l’obligation légale du bailleur de payer au locataire des intérêts à un taux fixé par la loi, une stipulation qui met à la charge du locataire une obligation de paiement anticipé au-delà de deux termes ne constitue pas, en soi, un facteur de diminution de la valeur locative. »

Autrement dit, tant le paiement anticipé que le dépôt de garantie ne peuvent être regardés comme des obligations exorbitantes en l’absence de déséquilibre manifeste ou de privation de contrepartie. La charge supportée par le preneur trouve sa justification dans un droit à intérêts (L. 145-40 C. com.) ou dans le cadre général de la garantie des obligations contractuelles.

Une jurisprudence de cohérence et de rigueur

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, refusant de considérer comme exorbitantes des clauses qui relèvent d’une gestion prudente des risques contractuels, sauf démonstration d’un véritable déséquilibre économique. Ainsi :

  • Le montant élevé d’un dépôt de garantie, dès lors qu’il est encadré et n’excède pas une proportion manifestement déraisonnable, n’ouvre pas droit à abattement ;

  • Le paiement d’avance de trois termes, bien que supérieur au seuil légal de deux, est assorti d’un droit à intérêts et ne constitue pas une surcharge injustifiée.

L’arrêt illustre la volonté de la Cour de préserver la stabilité des engagements contractuels et de ne pas ouvrir la porte à une minoration automatique fondée sur des éléments isolés du contrat.

Enjeux pratiques pour les professionnels du bail commercial

Pour les bailleurs, cet arrêt est rassurant : la pratique consistant à demander des garanties élevées (notamment dans les secteurs à risque ou face à des preneurs récemment constitués) n’est pas disqualifiée au regard de la fixation de la valeur locative.

Pour les locataires, la décision rappelle que toute demande d’abattement suppose de démontrer un excès non compensé par des usages, la loi ou des contreparties effectives. Il ne suffit pas d’invoquer un dépôt de garantie élevé ou un paiement anticipé sans établir un déséquilibre économique réel.

Conclusion : une ligne claire pour les praticiens

L’arrêt du 7 mai 2025 conforte une lecture stricte des critères de minoration de la valeur locative. Il rappelle que les stipulations contractuelles ne peuvent être assimilées à des obligations exorbitantes que si elles sont dépourvues de contrepartie ou manifestement déséquilibrées. En pratique, les précautions contractuelles raisonnables prises par le bailleur, même lorsqu’elles sont exigeantes, ne suffisent pas à justifier une minoration du loyer de renouvellement.

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